L'âge de nos artères

Photo présentant des pompes à essesnce manuelles - choix entre trois années

Aux trois thèmes précédemment publiés portant sur des lieux à des périodes données s'ajoute ce mois-ci un thème faisant un inventaire des moyens de datation des images (photographies et films) expérimentés pour l'écriture des chroniques de baby-boomer. 

 

Au constat d'un nombre d'erreurs significatif sur les sites internet consultés, il m'a semblé utile de faire part de mon "expérience" dans ce nouveau thème.

 

A titre d'exemple, cette photo d'un garage équipé d'une pompe à essence à main date-t'elle plutôt de 1946, de 1953, ou de 1960 ?

 

Réponse à la fin de cette chronique

 

"  Pour un site comme baby-boomer dans lequel sont évoqués a posteriori les événements de sept décennies, l'illustration, qu'elle soit film ou photographie, ne constitue pas seulement le témoignage d'un temps souvent révolu. Ce peut être aussi le moyen de dater ce témoignage et, parfois, pour l'auteur du site, de remettre en cause un souvenir qu'il aurait placé plus avant ou plus près dans le temps.

Pour cela, il ne faut pas se fier aveuglément à la date de production annoncée par l'auteur de l'illustration :

  • un film produit une année donnée peut faire appel à des séquences tournées bien avant,

  • un film ou une photographie peut être de bonne foi affecté à une date erronée. C'est ce qui peut arriver par exemple avec des films d'amateurs confiés par des descendants des auteurs à des sites d'archives régionales comme Ciclic pour la Région Centre-Val de Loire et, plus récemment par exemple, la cinémathèque de Bretagne.

Dans les textes qui suivent, les mentions en italique et en bleu constituent les liens vers des chroniques spécifiques sur le site baby-boomer, liens auxquels il est possible de se référer pour plus de matière sur chacun des sujets abordés.

Il est vivement conseillé d' ouvrir une nouvelle fenêtre: il sera ainsi plus aisé de retrouver le fil du présent récit après consultation de chaque chronique.

Le contenu de l'image lui-même renseigne plus sûrement avec ses objets dont certains, les automobiles tout particulièrement, sont produits à partir de dates précises. Pour l'illustrer d'un seul exemple, lorsque que j'ai élaboré ma chronique sur les chevaux, j'étais à peu près convaincu, selon mon souvenir, que les chevaux n'avaient plus de fonction de traction à Paris depuis le début des années cinquante. La photographie d'un attelage dévoilant en arrière-plan des voitures de la fin des années cinquante corrigea cet a priori.

 

Si les automobiles constituent en quelque sorte le carbone 14 des faits récents en révélant sans risque d'erreur la date au plus tôt d'une prise de vue, il existe, comme en géologie pour des temps beaucoup plus éloignés, d'autres sources plus ou moins dignes d'intérêt que nous allons  inventorier.

Les immeubles

Immeubles du boulevard Saint Marcel et statue de Jeanne d'Arc

A l'exception des tours (Paris-La Défense avec ou sans) et des monuments remarquables (Marseille avant et après le Mucem), les immeubles d'habitation qui jalonnent les rues et boulevards sont généralement de piètres indicateurs. La plupart de ceux évoqués dans «Mon quartier parisien» (de l'après-guerre à la fin des années 60) étaient construits avant ma naissance et sont toujours présents au 21ème siècle, les nouveaux immeubles cherchant plus à s'intégrer à l'existant qu'à s'en distinguer.

 

En revanche, de nombreuses bâtisses d'intérêt collectif ont disparu. Leur présence à l'image permet donc de déterminer des dates au plus tard. Tel est le cas par exemple à Paris des lavoirs, des halles (aux vins et aux cuirs dans mon quartier), des abattoirs (à Vaugirard).

Les boutiques

Escargot en néon vert de la maison de l'escargot
Escargot-néon, sexagénaire toujours ardent

Les commerces en rez-de-chaussée évoluent plus vite que les étages d'habitation des immeubles eux-mêmes, souvent d'ailleurs en discordance totale avec le style initial de l'artère. Ainsi, l'éclairage au néon des enseignes comme de l'intérieur des boutiques est caractéristique des années 50 (à Paris car à Naples par exemple il est toujours d'actualité).

 

La présence en nombre de magasins franchisés affichant des appellations nationales et des décors standardisés incite à pencher pour une datation au-delà des années 70.

 

A contrario, la profusion de merceries-journaux, de drogueries et de bistrots incite à envisager une datation qui ne dépasse pas les années 60. Pour les glacières, c'est plutôt la fin des années 50. Une mention particulière aux boucheries chevalines apparues dans les années cinquante et qui ont quasiment disparu à l'aube du 21ème siècle.

 

Les disquaires, en tant que commerces spécifiques, apparaissent dans les années 60 et se font très rares au 21ème siècle.

La restauration rapide se répand surtout à partir des années 80.

 

Le décor urbain

Le mobilier urbain constitue également une source de renseignements intéressants :

Pèse-personne au jardin du Luxembourg
Dans le jardin du Luxembourg tout comme dans les rues et les stations de métro
  •  les pèse-personnes massifs, très nombreux après la guerre, disparaissent dès lors qu'un matériel domestique léger utilisant la matière plastique entre dans l'«équipement des ménages» (années 70),
  •  les cabines téléphoniques publiques font leur apparition en 1955 pour compenser l'insuffisance du réseau individuel et disparaissent dans les années 2000 avec la diffusion généralisée des téléphones portables;
Avertissement : "Eau d'agrément non potable" à Cucuron (Vaucluse)
Avertissement : "Eau d'agrément non potable" à Cucuron (Vaucluse)
  •  les fontaines et les puits sont encore utilisés dans certains quartiers de Paris (fontaines Wallace) jusque dans les années 50. Dans les villages, on en trouve encore dans les années 60. Ensuite, ils (elles) sont abandonnés ou mis en valeur comme éléments de décoration;
  •  les abri-bus se sont répandus à Paris dans les années 60 et ont accueilli une publicité murale qui a remplacé celle qui ornait les pignons des maisons.

 

Sur le plan des éléments de décor, il en est un dont je ne parviens pas à situer la date de disparition (a-t'il d'ailleurs complètement disparu en France?) : la tenture funéraire portant l'initiale du nom du défunt.

 

Autre élément que l'on ne peut ignorer (même si souvent on le souhaitait) : le graffiti . Politique ou sociétal, il peut fournir une indication sûre sur une date au plus tôt (paix en Algérie par exemple). A prétention artistique, il oriente plutôt vers une période postérieure aux années 80.

Les métiers de la rue

La présence de colporteurs à pied dans les villes (aiguiseurs de couteaux, verriers …) ou conduisant des camionnettes à la campagne est le signe d'une prise de vue ne dépassant certainement pas les années 60. Idem pour les vendeurs de tapis.

Kiosque aux couleurs de France-Soir
Kiosque aux couleurs de France-Soir

Les crieurs de journaux doivent avoir disparu dans les années 70 et les vendeurs de journaux sous toile n'ont cessé de se raréfier depuis leur création à la Libération jusqu'à la fin du 20ème siècle. Les rares kiosques qui subsistent sont des baraques «en dur» d'une surface permettant une diversification des ventes (boissons, souvenirs …).

 

Les hommes-sandwichs supports de panneaux à double face ne se rencontrent plus guère à partir des années soixante. Il en va de même des photographes de rues qui font mine de prendre un cliché et recommencent « pour de vrai » si le badaud se montre intéressé.

 

A Paris, les marchandes des quatre saisons qui poussent leurs chariots à bout de bras des halles jusqu'aux marchés de quartier (dont Mouffetard) disparaissent en 1969 quand les halles alimentaires déménagent à Rungis. Au nombre des petits commerces itinérants, les vendeurs de glaces et de marrons chauds («chauds, les marrons») se raréfient également à partir des années 70.

 

En environnement rural, les commerçants assurant des tournées, nombreux encore dans les années 50 quand les voitures individuelles étaient moins répandues, se raréfient ensuite jusqu'à disparaître totalement dans certaines contrées. Vendeurs et livreurs de restauration rapide apparaissent avec la décennie 90.

Les tenues des passants

Les tenues de passants sont également susceptibles de fournir des indications. Moins d'ailleurs pour les hommes que pour les femmes dont les pantalons sont longtemps considérés comme des tenues presque indécentes et qui se multiplient à partir des années 80.La mini-jupe est inenvisageable avant les années 60.

Les tenues militaires portées par des jeunes «appelés» disparaissent avec la suppression du service militaire en 1996. Même sort réservé aux soutanes de la plupart des curés dans les années 70.

Les tenues de travail portées dans les rues de Paris (notamment à l'heure du déjeuner) sont encore courantes dans les années 80.

Catherinette
Catherinette

Les chapeaux se raréfient également : ceux qui renseignent sur l'appartenance régionale (hors représentations à destination des touristes), les voilettes et les bibis pour les femmes et les coiffes statutaires pour les hommes (la casquette et le chapeau-melon).

Et coiffes très spéciales pour les catherinettes....

Les véhicules

J'ai souligné en introduction l'importance particulière des véhicules pour la datation d'une photographie ou d'un film. J'y reviens pour une analyse un peu plus fouillée.

203 commerciale

Concernant les voitures particulières, la difficulté réside dans l'identification de la marque et du modèle, difficulté qui concerne exclusivement ceux qui n'ont pas vécu cette période et qui peuvent allègrement confondre 203 Peugeot et 4cv Renault (vu sur internet). Pour ceux-là, la difficulté est cependant réduite du fait du nombre de marques (très peu de voitures étrangères) et de modèles (pendant six ans Peugeot par exemple ne commercialise que la 203 sous diverses versions).

Les voitures américaines exubérantes et volumineuses sont typiques des années 50. Les véhicules à moteur diesel français apparaissent dans les années 60 mais, sauf à disposer d'un film sonorisé pour détecter leur grondement particulier, ils sont difficiles à identifier car ils ne disposent pas de carrosseries spécifiques.

Autobus 67

Les autobus et autocars peuvent également constituer des sources de renseignements utiles mais seulement sur les dates au plus tôt car la durée de vie de ces véhicules est longue. Ainsi, à Paris, les autobus souvent dotés d'une plate-forme ouverte ont été mis en circulation entre les deux guerres et ne disparaissent que dans les années 70.

 

 

Concernant les deux-roues motorisés, la datation est difficile car les différences sont esthétiquement peu sensibles (pour la Vespa tout particulièrement). Par contre, le non-port du casque est un élément qui permet d'indiquer une date au plus tard (en France et pas à Naples …).

Les tramways occupent une place à part car, présents dans de nombreuses villes après-guerre, ils disparaissent en 1966 pour réapparaître à partir de 1985 sous de nouvelles carrosseries aisément identifiables.

 

Les «véhicules de loisirs» (caravanes et camping-cars) peuvent également fournir des indications de dates au plus tôt. 

Plusieurs autocollants sur vitre arrière de break Ami 8 Citroën

Sur les véhicules eux-mêmes, il existe également des indices mais ils sont généralement moins bien détectables:

Taxi avec taximètre
Taxi avec taximètre
  • l'équipement de signalisation se développe au fil des années. Par exemple, un feu clignotant de changement de direction devient obligatoire de chaque côté en 1953, il en faut 3 synchronisés aujourd'hui ;
  • la présence de taximètres proéminents à l'aplomb des pare-brises des taxis comme celle des redoutables figures de proues ornant les capots (dont le lion de Peugeot) disparaissent en 1958.

Au plan des aménagements et équipements surtout observables dans la périphérie des cités:

  • la multiplication des carrefours giratoires à partir des années 70,
  • simultanément celle des voies express et des accès aux autoroutes,
  • les stations-services qui soignent particulièrement leurs clients des années 50 aux années 70 tandis que les pompes manuelles ne dépassent guère les années 50.

La prise de vues

Ni la présence d'images en couleurs, ni celle d'une sonorisation ne sont susceptibles de nous apporter des informations utiles puisqu'elles sont très antérieures à la période qui nous intéresse ici.

En revanche, les moyens mis à disposition au 21ème siècle permettent de réaliser des images (et particulièrement des films) qui ne pouvaient l'être auparavant :

  • la facilité de prises de vues avec les équipements de poche constamment à portée de main (les smartphones) ouvre la possibilité de constituer des témoignages au plus grand nombre et dans des environnements hier inaccessibles avec des matériels encombrants et coûteux. Ainsi des sites de partages (dailymotion, youtube …) archivent des réalisations de qualité et d'intérêt très divers,
Contreforts de la cathédrale d'Orléans vus de près par un drone
Contreforts de la cathédrale Sainte--Croix d'Orléans filmés de près et de face par un drone
  • l'utilisation de drones permet des angles de prises de vues hier irréalisables même à grand prix par des cinéastes professionnels.

 

L'identification de l'utilisation de ces nouveaux moyens est aisée et permet de situer la date de production au 21ème siècle.

Ultimes pistes possibles

Certaines peuvent aisément induire en erreur : 

  • le contenu des cartes postales peut être sensiblement plus ancien que la date auxquelles elles sont vendues ou oblitérées,
  • celui-ci peut avoir été reconstitué pour rappeler le "bon vieux temps".

Même risque avec les dates des photos numériques qui ne sont que celles de leur enregistrement ... après d'éventuelles modifications avec des logiciels capables de  faire des miracles.

Par contre la datation du contenu peut être facilitée en cadrant serré des "objets" à dater et en les soumettant à un moteur de recherche comme celui de Google (option image disponible sur l'écran d'accueil). 

Ainsi par exemple, la recherche sur la voiture noire figurant dans la rubrique "les véhicules" permet de déterminer qu'il s'agit d'une 203 Peugeot et, en utilisant les sites référencés proposés, d'affiner la recherche pour en connaître le modèle et la date de sa production.  

L'outil n'est pas infaillible : il peut se tromper pour des véhicules peu diffusés et/ou il y a longtemps mais fonctionne assez bien pour les véhicules (et plus généralement les "objets") courants.    "

Chronique publiée en septembre 2020

Résultat du jeu

Les pompes à essence à main pour le remplissage des réservoirs des voitures ont disparu dans les années 50 (cf. la chronique sur les stations-services). Il est donc peu probable que la photo date de 1960. Sur cette photo, on voit assez clairement en premier plan une Juva4 Renault et une Traction Avant Citroën, voitures apparues dans les années 30 : la photo pourrait donc dater de 1946 si ... en arrière-plan on ne discernait pas deux 4CV Renault, véhicules commercialisés à partir de 1947.

L'année  possible la plus vraisemblable est par conséquent 1953.