Sabotier
1953 Artisan de sabotages
" Le choix de l'année 1953 tenait à l'origine à mes premières grandes vacances à Rémalard, chef-lieu de canton Ornais au cœur du Perche et au souvenir d'un vieux sabotier travaillant à la devanture de son échoppe rue de Mortagne, non loin de la place où se tenait le grand marché hebdomadaire.
Or, des Rémalardais m'ont convaincu que j'avais construit ce pseudo-souvenir après coup (en toute bonne foi) et que l'échoppe en question était celle d'un cordonnier, le dernier sabotier du village rue de l'église ayant abandonné son activité peu de temps après la guerre.
A ma décharge, le village, qui avait encore au moins deux maréchaux-ferrants, regorgeait de petits commerces aux enseignes variées et parfois inaccoutumées ainsi qu'en témoignent aujourd'hui des cartes postales et des photographies (certaines pouvant être antérieures aux années 50).
Ce gros bourg, situé à une vingtaine de kilomètres de trois petites villes (Bellême, Mortagne et Nogent le Rotrou) constituait un centre commercial (et médical) pour les villageois des communes alentour venus notamment à ce grand marché alors très couru et animé.
Il aurait été d'autant plus vraisemblable qu'il accueille encore au moins un sabotier, sur les quelques milliers qui subsistaient en France, du fait de l'environnement de forêts et de collines boisées du Perche.
Décidément, Rémalard réunissait toutes les conditions pour accueillir encore un sabotier en 1953.
Malgré cette méprise initiale, j'ai conservé 1953 comme année de référence car c'est aussi (sur la base du timbre utilisé sur l'illustration ci-dessous) l'année durant laquelle la dernière entreprise de fabrication de machines saboteuses arrête sa production, illustrant ainsi le revirement qui s'est opéré après la forte croissance de la mécanisation durant l'entre deux guerres.
Regards industriels: " Les machines à sabots", patrimoine pays de Loire, 30 10 2014, 2 minutes 40
Autrefois les sabots, les machines, site personnel, non daté, texte et illustrations
Documentation sur les sabots selon les régions, les outils et les machines
Je n'entrerai pas ici dans le détail des opérations à conduire, ni dans la mention des outils et machines pour ce faire (cf. nombreux films).
J'introduirai seulement la distinction entre deux catégories d'artisans en sabotage:
- ceux qui continuent à exercer le métier «à l'ancienne», sans machines,
Dans l'atelier du dernier sabotier sarthois, Ouest-France,2 5 2018, 1 minute 30
- ceux qui disposent de machines alors encore récentes pour la mise en forme et soignent à la main la finition de leur production.
Ces travaux de finition sont particulièrement attentionnés pour la fabrication des sabots du dimanche et des fêtes. Pour ces sabots-là, le chêne, le hêtre, le charme et le noyer sont préférés au bouleau et au saule réservés aux jours de labeur.
Pour autant, ces sabots ouvragés, décorés, cirés ne sont achetés que par les familles du monde agricole tandis que les bourgeois se démarquent par leurs chaussures en cuir.
Un fait m'a particulièrement surpris en consultant des ouvrages consacrés à ce sujet: les sabots de labeur avaient une durée de vie particulièrement brève de deux à quatre semaines … quand ils ne se cassaient pas. Cela tenait aux bois tendres (saule ou bouleau) dont ils étaient faits, lesquels étaient vraisemblablement choisis par le sabotier pour leur plus grande facilité de travail. Pour allonger leur durée, on les ferrait souvent, pratique également courante appliquée aux chaussures qui me semble s'être estompée (je n'entends plus guère les claquements caractéristiques accompagner la marche des passants).
On notera que ce renouvellement fréquent des sabots familiaux (hommes, femmes et enfants) par des clients disposant souvent de revenus limités explique que les sabotiers ne faisaient pas fortune (information unanime dans les ouvrages de référence).
En préparant cette chronique, j'ai eu une autre surprise de taille: il est souvent mentionné que la décroissance des sabots en bois tient à la diffusion du caoutchouc après la guerre 39-45. Or, s'il est possible que les capacités industrielles de fabrication de sabots en caoutchouc se soient développées dans les années 50, la première production de bottes en caoutchouc en France a commencé tout juste un siècle auparavant, en 1853, à Chalette-sur-Loing dans le Loiret (entreprise l'Aigle).
Aigle : utilisation du caoutchouc pour les bottes, archives Les Echos, texte
D'autres causes peuvent être envisagées pour expliquer le dépérissement des sabots et des sabotiers:
-
l'évolution profonde de l'agriculture et des agriculteurs, notamment la diminution du nombre d'exploitations et du personnel nécessaire du fait de la mécanisation,
-
le renchérissement de la main d’œuvre (création du salaire minimum en 1950 et accroissement sensible du niveau de vie jusqu'aux années 70),
Cette décadence peut aussi tenir à l'image possiblement dégradée du port de sabots. Le mot sabotier est également utilisé de longue date pour désigner le porteur de sabots et il a dans ce cas une connotation péjorative, assimilant ledit porteur à une personne misérable. L'origine de cette dénotation est à rechercher dans la révolte des sabotiers en Sologne contre le cardinal Mazarin au 17ème siècle, épisode joliment romancé par Gérard Boutet
Moins brutalement dépréciative, l'expression «venir avec ses gros sabots» s'applique à un maladroit, un qui manque de tact, de diplomatie, voire de discernement. "
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien