Ordures ménagères
1956 Chauffage à l'ordure
" Le traitement des ordures du cinquième arrondissement de Paris, tout comme celui des arrondissements du sud de la capitale et de communes de ce qui est alors la Préfecture de la Seine (partageant l'immatriculation 75) est réalisé par incinération à Ivry sur Seine depuis 1922.
Ainsi que l''écrit Baptiste Monsaingeon, les incinérateurs sont alors considérés «comme la solution hygiénique au problème des ordures et des décharges» et ne sont «en aucun cas associés à un quelconque risque de pollution atmosphérique». On sous-estime alors la production de dioxines et de toxines à la source d'effets cancérigènes. Beaucoup plus tard, au tournant de l'an 2000, cette production sera divisée par plus de 10000...
En outre, en ce qui concerne nos ordures, mes parents m'ont vanté le procédé mis en place à Ivry (en 1942 ou 1944 selon les sources) qui consiste à utiliser l'énergie produite par l'incinérateur pour le chauffage d'appartements: un chauffage à l'ordure qui dispense ses bénéficiaires de la corvée de charbon encore très fréquente dans les années cinquante … et une solution alors estimée moins polluante. Il faut ici noter que quatre ans auparavant, des milliers de Londoniens avaient succombé à un brouillard chargé de poussières de charbon (le smog). "
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Les décharges
" Mes parents me montrent que l'on a une excellente illustration de cette «méthode» à quelques centaines de mètres de notre domicile: le labyrinthe du jardin des plantes. En effet, en dépassant l'entrée que nous empruntons régulièrement au pied de la rue Geoffroy Saint-Hilaire, on observe aisément que le mur d'enclos s'élève soudainement et se transforme en mur de soutènement de la colline artificielle qui accueille le labyrinthe avec, à son sommet, la gloriette de fer voulue par le comte de Buffon. Cet endroit privilégié de mes cavalcades à patinette n'est en fait qu'un imposant tas d'ordures déposées là quand Paris était encore embryonnaire et que ses habitants répandaient un peu partout dans les faubourgs leurs immondices puants et sources de maladies. Philippe Mellot écrit: «Hors des barrières, les campagnes sont couvertes de gadoues et autres immondices à une demi-lieue de la capitale».
Ces ordures d'hier sont peu différentes de celles que nous produisons dans les années cinquante:
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à l'exception des boîtes de conserves et des boîtes de lait Guigoz, les emballages demeurent éphémères. Sauf pour les produits de luxe comme les parfums, ils ne constituent pas des écrins alambiqués,
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les bouteilles et même les pots de yaourts sont consignés,
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la matière plastique est encore peu répandue et les stylos à billes récemment apparus sont rechargeables.
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Les produits jetables (rasoirs, couches-culottes …) n'ont pas encore fait leur apparition. Et ma mère brode à mes initiales les mouchoirs qui me sont offerts en cadeaux.
Selon Catherine de Silguy, les poubelles ne se sont répandues dans les villes qu'au lendemain de la guerre. Illustration des lenteurs dans ce domaine, l'usage des poubelles vient du nom du Préfet qui avait promulgué un décret instituant leur usage en 1883...
Il s'agit de récipients en fer dotés de poignées de part en d'autre et souvent dépourvus de couvercles. A défaut de les traîner au sol, il faut être deux pour les soulever et les basculer dans la benne. Cela provoque un tel tintamarre que, deux ans auparavant, une campagne antibruit a prescrit une manipulation plus précautionneuse. On devra attendre quelques années pour que le caoutchouc dur remplace le fer sans rien changer à la forme des poubelles.
La benne de la SITA (Société Industrielle de Transports Automobiles) a une apparence voisine de celles que l'on connaît soixante ans plus tard à la différence – non négligeable pour les éboueurs – qu'il faut soulever et renverser les poubelles pour vider leur contenu. Encore cette formule est-elle très moderne comparée au camion à ordures Studebaker dont la miniature Dinky Toys fait partie de ma collection. Sa benne doit être remplie latéralement à une hauteur plus élevée et elle est ensuite vidée dans la décharge par basculement par l'arrière.
Pas facile de me remémorer avec certitude et précision des camions de «nettoiement» qu'utilisait alors la Préfecture de la Seine. Le modèle se rapprochant le plus de mon souvenir conforterait l'option avant-gardiste de la Préfecture de la Seine précédemment illustrée par le chauffage à l'ordure puisqu'il s'agit d'un véhicule mu à l'électricité. Je n'en ai pas la certitude mais deux indices m'incitent à envisager sérieusement cette hypothèse: la face avant plane dépourvue de toute proéminence et le chuintement émis lors de la progression qui alternait avec le vacarme des poubelles.
Contraste saisissant avec le ramassage des ordures dans les villages de Basse Normandie dans lesquels je passe alors mes vacances: benne agricole tirée par un tracteur (peut-être même un cheval mais je ne le jurerais pas) avec pour destination le ramassis déjà accumulé à l'écart dans la nature comme au temps de la colline devenue labyrinthe au Jardin des Plantes. "
Le nettoiement à Paris des années 40 aux années 70, extraits du livre de Barbara Prost, 2006
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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