Baby-boomer
Occultations funestes
1994 Noyer le poison
" En 1994, des apiculteurs s'alarment de la disparition d'une partie de leurs abeilles. Comme beaucoup sans doute, je ne m'en alarme pas outre mesure parce que le mal à ce stade semble circonscrit aux productrices de miel et que, égoïstement, je suis plutôt porté sur la confiture.
Plus récemment, j'observe, comme tout un chacun, que je suis désormais dispensé de la corvée de décrassage des insectes morts sur la carrosserie et le pare-brise de la voiture. Dans les années cinquante-soixante, à la création des stations-services des grandes marques sur les grands axes, le rituel du nettoyage du pare-brise à la raclette par un employé en tenue constituait un des moyens de fidéliser la clientèle. Ce temps-là étant révolu, j'éprouvais une certaine satisfaction à être dispensé de cette corvée.
Et je ne m'inquiétais guère plus de la discrétion accrue d'autres insectes souvent des plus malvenus:
-
les mouches vrombissantes passant allègrement du tas de compost à la table des repas,
-
les guêpes et les moustiques y ajoutant la hantise d'être piqués, les moustiques se signalant en outre par leurs crispants sifflements,
-
les frelons qui avaient un temps colonisé une partie du grenier y construisant un nid de la taille d'un nouveau-né,
-
les chenilles processionnaires descendant des pins pour nous communiquer à distance leurs vertus urticantes.
Décidément, seuls les papillons – quand ils avaient quitté leur état larvaire – étaient susceptibles de susciter ma sollicitude.
Je ne suis pas fier de ce que je viens de confier mais la vérité m'impose de ne pas passer sous silence l'état d'esprit dans lequel je me trouvais lorsque j'ai entrepris il y a quelques semaines la lecture de l'ouvrage de Stéphane Foucart, laquelle m'a:
-
rappelé que les insectes, même les moins fréquentables, faisaient partie de la chaîne alimentaire et qu'on ne pouvait les exterminer sans en assumer les conséquences,
-
appris que la disparition des abeilles en 1994 avait coïncidé avec la mise sur le marché d'insecticides de «nouvelle génération» (un an après l'interdiction de vente du chlordécone...): les néonicotinoïdes.
Les néonicotinoïdes, c’est quoi le problème ? RTS Info, 16 9 2018, 3 minutes
Ce n'est pas un hasard si dans néonicotinoïde il y a nicotine. A dose homéopathique, l'homme finit souvent par en mourir à terme, avec une injection de 60 milligrammes, il y succombe illico presto.
Poison immédiat aussi pour les insectes à la dose appropriée, cet insecticide peut, comme ses prédécesseurs, être pulvérisé mais, nouveauté, il peut aussi enrober les semences pour être actif de la germination à la récolte. Les insectes qui ingurgitent ces bonbons voient leurs systèmes nerveux dévastés. Ainsi, les insectes ravageurs sont-ils atteints mais les insectes pollinisateurs tout autant. C'est la raison pour laquelle les abeilles ne retrouvent pas le chemin de leurs ruches, voire meurent d'empoisonnement.
Le déclin massif des insectes menace les écosystèmes, Statista, 11 2 2019, texte et illustrations
La démonstration a été faite en 2018 que les oiseaux des champs se régalaient aussi de ces œufs de Pâques empoisonnés et étaient aussi victimes de leurs effets délétères tandis que les volatiles survivants souffraient déjà de la raréfaction de leur nourriture naturelle (d'où le titre de l'ouvrage de Stéphane Foucart «Et le monde devint silencieux» marquant la raréfaction voire la disparition de certaines espèces).
Les humains, débarrassés des importuns insectes sont en contrepartie pollués par les néonicotinoïdes que, par exemple, des chercheurs suisses ont retrouvé dans 75% des pots de miel.
En France – et pas partout dans le monde – l'utilisation des néonicotinoïdes est interdite depuis 2018. 1994-2018: vingt-quatre ans, près d'un quart de siècle, ont donc été nécessaires cette fois-ci pour prendre la mesure de la dangerosité.
Abeilles : cinq néonicotinoïdes interdits à compter de septembre, Le Monde, 1 8 2018, 3minutes 50
Et, comme dans les cas précédents, arrêt de commercialisation ne signifie pas interruption des effets, lesquels perdurent des décennies voire des siècles.
A cette carence des contrôles préalables aux autorisations de commercialisation et à ces délais de réaction inouïs après-coup, deux chercheurs, François Jarrige et Thomas Le Roux attribuent plusieurs causes: le lobbying des producteurs et leur financement de recherches visant à minimiser la contribution de leurs produits à la pollution de la planète (que nous avons déjà identifiés précédemment) mais aussi le fait que «la majorité des données servant à l'élaboration des réglementations sont fournies par les industriels eux-mêmes et que les organismes chargés du contrôle entretiennent des relations plus ou moins ambiguës avec ces industriels». "
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien