Baby-boomer
Occultations funestes
1951 Autour du pot
" En 1951, depuis cinq ans, dix milles tonnes de DDT ont été déversées en Sardaigne pour enrayer le paludisme.
Aventure en Sardaigne, film réalisé dans le cadre du plan Marshall, 1 1 1953, 19 minutes
L'épopée du DDT a commencé douze ans auparavant avec la découverte de cette molécule miraculeuse capable de venir à bout de deux fléaux qui touchent particulièrement les pays du Sud, le paludisme et le typhus.
En 1943, 65% des troupes américaines opérant aux Philippines étaient atteintes du paludisme et cela mettait en péril la lutte contre les nazis: elles ont été copieusement aspergées.
La même année, même traitement pour un million de Napolitains menacés par une épidémie de typhus.
Le DDT poison mortel allié militaire aux Philippines et sauveur des Napolitains, Le Temps, 1 8 2018, texte et illustrations
L'hélicoptère anti-paludéen en Algérie, Les Actualités Françaises, 2 8 1951, 50 s
En outre, le DDT est dès lors largement utilisé sur les récoltes où il fait merveille pour éliminer les ravageurs.
Le produit est alors réputé inoffensif pour l'homme et, pour en convaincre les «indigènes» (terme alors utilisé par leurs «visiteurs» pour qualifier les natifs des lieux), on peut ainsi voir au Kénya un prosélyte blanc n'hésitant pas à vaporiser sa pitance de l'anodine médication avant de l'ingurgiter goulûment.
DDT so safe you can eat it (si inoffensif que vous pouvez le manger), 1947, 1 minute (en anglais)
En 1948, le découvreur du DDT, Paul Hermann Müller, a été récompensé par l'attribution du prix Nobel.
Pourtant, dès 1944, sur la base de tests réalisés sur de petits mammifères, des doutes ont été émis sur l'innocuité du produit magique.
Seulement, la fabrication du DDT est devenue un enjeu économique et il faudra donc patienter un quart de siècle avant que l'Organisation Mondiale de la Santé ne tempère son enthousiasme en le qualifiant de «cancérigène probable». La plupart des pays en réglementeront alors sévèrement l'utilisation.
Entre temps, on estime que deux à trois millions de tonnes auront été déversées dans l'environnement, y compris dans des habitations.
Enfant dans les années cinquante, le DDT m'est familier par l'entremise du produit domestique Néocide illustré d'un mignonnet éléphant comme sorti d'une bande dessinée de Walt Dysney. Sans doute mon cuir chevelu a-t'il aussi bénéficié des vertus de ce remède pour en chasser les poux qui proliféraient alors dans les écoles.
Alors qu'au début des années soixante-dix, la vente massive du DDT est endiguée, un scénario identique est sur le point de se reproduire avec le chlordécone.
Là, il ne s'agit pas d'endiguer des épidémies ni de maintenir des soldats en état de nous débarrasser du régime nazi. Non, il s'agit seulement de combattre le charançon du bananier qui sévit aux Antilles.
Une décision provisoire de commercialisation est prise par le ministre de l'agriculture en fonction en 1972. Elle sera prorogée jusqu'en … 1990 et il s'écoulera encore trois ans avant qu'elle ne soit abolie aux Antilles.
De 1972 à 1993, neuf premiers ministres se sont succédés. Et combien de ministres de l'agriculture, de l'environnement et de la santé avec leurs cabinets?
Pourtant la dangerosité du produit avait été très tôt identifiée, au point que dès 1976, les États-Unis en avaient interdit la vente sur leur territoire. Selon l'association Robin des Bois, en 1977, l'imprégnation de l'environnement en Guadeloupe avait été démontrée et un article scientifique décrivait en 1978 ce pesticide comme «très toxique» et «à effets cumulatifs et différés» pour «les oiseaux, les rongeurs et les humains».
En juillet 2001 (8 ans après l'arrêt de son utilisation), un rapport mettra en évidence:
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la persistance de présence de pesticides dans les eaux de consommation humaine, y compris les eaux embouteillées,
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une stérilisation des sols,
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une augmentation significative des cancers de la prostate et du sein.
Chlordécone : le poison des Antilles (bref historique), INA catalogue, 2 minutes 30
Et l'on estime que ces effets se feront sentir durant cinq cents ans.
En 2019, six mois d'enquête parlementaire ont permis de déterminer que l’État savait en fait depuis 1969 que le chlordécone était toxique: le scandale sanitaire est finalement reconnu, l'envergure des conséquences et des conditions d'indemnisation donnant encore lieu à des débats. "
L'État français, "premier responsable" de la pollution au chlordécone dans les Antilles, France 24, 26 11 2019, 1 minute 50
Nouveau rebondissement lors de la parution de cette chronique en mars 2020 : des stocks de chlordécone enfouis sont découverts aux Antilles. Trois associations réclament l'ouverture d'une nouvelle enquête.
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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