Baby-boomer
Marchand de peaux de lapins
1956 Show lapins
" Le lecteur accoutumé à ces chroniques sait qu'à un titre banal, convenu, consensuel, je préfère toujours un autre qui soit susceptible d'ébaudir un humain et qui déconcerte - encore pour longtemps - un moteur de recherche. Le titre attribué à cette étape, troublant puisqu'il associe un mot anglais à nos léporidés pour constituer un amalgame sémantique détonnant, convient cependant parfaitement au comportement du marchand de lapins de Rémalard, comme, semble-t'il selon mes lectures, de nombre de ses congénères des autres régions Françaises.
A Rémalard, le marchand de peaux de lapins qui travaille pour le brocanteur, se donne en spectacle à la manière du garde-champêtre en haranguant les ménagères (c'est ainsi que l'on dénomme alors les «femmes au foyer»). Après avoir immobilisé sa mobylette sur sa béquille (mobylette est une marque tombée dans le langage public pour désigner tout vélomoteur), il les rameute aux cris de «peaux de lapins, peaux de lapins» afin qu'elles viennent négocier les peaux de lapins qu'elles ont préalablement séchées. Et ainsi, de proche en proche, il écume tout le bourg à intervalles réguliers.
Le marchand de peaux de lapins, Geneacaux, 28 5 2016
Peaux de lapin pour colle et chapeaux, France pittoresque, 9 3 2020, texte et illustrations
Ailleurs, le marchand accompagne les mêmes annonces à la trompette, laissant le tambour au garde-champêtre.
Les enfants, attirés par ses appels, l'entourent et lui répliquent gaillardement «haut les mains! peaux de lapins». Ici, il ne leur inspire pas de crainte mais tel n'est pas le cas dans d'autres contrées quand les parents pour se faire obéir ont gratifié le marchand de lapins de pouvoirs maléfiques sur le mode: «si tu n'es pas sage, le marchand de peaux de lapins t'emportera».
A Rémalard, l'homme à la mobylette à qui l'on a donné le surnom de «Milord» est plutôt un objet de moquerie débonnaire. Les enfants de cette époque s'en souviennent comme d'un «personnage».
En dehors du bourg, il va de ferme en ferme et se comporte alors plus discrètement sans s'annoncer par son cri de ralliement. Je l'avais entrevu quelques années auparavant alors que nous étions accueilli chez des fermiers de Dorceau à quelques kilomètres de là. Je l'avais alors perçu comme un colporteur parmi d'autres (il y en avait notamment pour la vente d'almanachs, de vêtements et de babioles diverses).
Dans cette période de l'été (en 1956 ou peut-être en 1955), l'entrepôt de peaux de lapins, situé dans le bourg sur la «route de Paris» est ravagé dans la nuit par un incendie. L'alerte est donnée par l'employé du maréchal-ferrant de la rue de Mortagne.
Bien que présent alors, je ne suis pas témoin du sinistre mais la puanteur nauséabonde nous avertit dès le réveil et perdure plusieurs jours. Néanmoins, l'activité reprendra et se poursuivra jusqu'aux années 70.
La persistance du métier dans les années 70 n'était pas exceptionnelle puisque, ayant quitté Paris en 1973 pour un village à une vingtaine de kilomètres d'Orléans, nous verrons encore quelque temps passer un marchand de peaux de lapins doté cette fois-ci d'une camionnette bâchée … et ne haranguant plus les foules.
En 1956, si les chapeaux en feutre de peaux de lapins se font plus rares, la fourrure de peaux de lapins est à la mode pour les enfants grâce à la sortie du film de Walt Dysney Davy Crocket. Enfant gâté, on m'accompagne pour voir le film et je suis ensuite affublé de la toque un rien ridicule que porte Davy Crocket' «l'homme qui n'a jamais peur» selon la chanson également commercialisée.
Davy Crockett, King of the Wild Frontier, extraits film et chanson, 11 4 1956, 3 minutes 10
Premières manifestations de produits dérivés dont l'usage s'est répandu depuis lors.
D'une certaine manière, je fais moi aussi à dix ans mon show lapins. "
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien