Insectes

2024 Du sucre ou du miel ?

"      Dans son ouvrage publié en France en 2023 «Terre silencieuse», Dave Goulson fait constamment référence à sa devancière Rachel Carson pour s’offusquer que les politiques n’aient pas tiré toutes les conséquences de son livre-alerte de 1962.

"Terre silencieuse" de Dave Goulson, Editions du Rouergue, 01 02 2023, 1 minute 30

 

Il stigmatise ce qu’il dénomme l’«effet Carson» en se basant sur une recherche simple qu’il a menée sur les bases de données médicales, recherche à partir des mots-clés «faune sauvage» ET «pesticides»:
    • de 1962 à 1990, il a recensé 29 articles,
    • de 1990 à 2020, laps de temps à eu près équivalent, 1144 articles, soit un rapport de l’ordre de 1 à 40.
Tout s’est passé comme si le danger gravissime pour la vie sur terre identifié par Rachel Carson avait été réfréné par la seule magie de son verbe et que trente ans aient été nécessaires pour régénérer l’intérêt porté à ce sujet.

 

C’est un constat auquel je suis sensibilisé sur bien d’autres révélations de la presse ou d’auteurs de livres (et je ne pense pas ici aux bobards véhiculés par une certaine presse ou par les réseaux dits sociaux): des journalistes d’investigation talentueux et respectables font un travail d’enquête qui révèle un vrai problème auquel une suite devrait être donnée pour le résoudre … et l’on passe au reportage suivant sans plus se préoccuper de la suite donnée. Comme si le fait d’avoir posé le problème l’avait résolu.

Dans le cas qui nous intéresse ici, depuis les années 2010, d’autres auteurs se sont alarmés de cette situation. Ainsi, Stéphane Foucart en 2019 qui attribue la faiblesse des actions entreprises depuis 1962 à la stratégie de l’industrie agrochimique.

Les lobbies à la manœuvre en matière de pesticide, Stéphane Foucart Le Monde, 07 06 2018, 1 minute 30

Celle-ci met en avant la multiplicité des facteurs intervenant dans la raréfaction croissante des insectes pour sous-estimer sa propre responsabilité:
    • choix politiques d’une agriculture intensive, de la fin des jachères, d’une urbanisation croissante associée à une bétonisation des espaces naturels, des remembrements entraînant la disparition des haies,
    • changements climatiques,
    • éclairages nocturnes,
    • intensification du commerce international accompagnée de la prolifération des espèces invasives,
    • …

Et l’industrie  agrochimique n’est pas uniquement active dans le domaine de la communication, elle l’est également par sa force de proposition de «nouveaux insecticides» supposés plus respectueux de la nature.


C’est ainsi que sont apparus dans les années 90 les néonicotinoïdes faisant durablement l’objet d’une présentation très positive par wikipedia (texte ci-après en février 2024): «Ces substances sont utilisées principalement en agriculture pour la protection des plantes et par les particuliers ou les entreprises pour lutter contre les insectes nuisibles à la santé humaine et animale».


Il s’agit d’insecticides dits systémiques parce qu’ils pénètrent le système vasculaire des plantes dans leur intégralité. Les néonicotinoïdes ont connu une grande progression de leur diffusion à partir de la fin des années 2000. Stéphane Foucart cite ainsi ces volumes en milliers de tonnes aux États-Unis:
    • 0 en 1993,
    • 0,2 en 2003,
    • 2,5 en 2013.

Affiche contre les insecticides néo

En France, ils ont été interdits en 2018, reconnus comme responsables des hécatombes des abeilles.


Mais cette décision, confortée par le Conseil d’État en 2021, accueillie favorablement par les apiculteurs français a été combattue par les agriculteurs et particulièrement par les betteraviers qui, mis en concurrence avec des pays moins regardants (y compris au sein de l’Union Européenne), ont vu leur production de betteraves sucrières passer de la deuxième place mondiale à la sixième.

Néonicotinoïdes : le Conseil d'État reconnaît les effets néfastes sur la santé des abeilles, Actu-environnement, 13 07 2021, texte et illustration

Non au retour des néonicotinoïdes, Pollinis, 22 10 2020, texte et illustration

 

Suite aux mouvements des agriculteurs début 2024, la décision de suspendre le plan Ecophyto dans lequel s’inscrivait cette décision a été prise.
Quid de la suite: le miel ou le sucre?


Ce plan Ecophyto, né du Grenelle de l’Environnement en 2007, en était à sa troisième version depuis octobre 2023 avec un objectif de réduction de moitié des produits phytosanitaires à l’horizon - alors repoussé -  à 2030…

Pause du plan Ecophyto, PublicSénat, 01 02 2024, texte

 

   Et pendant ce temps qui s’écoule, que deviennent nos insectes et nos oiseaux?
Aux études conduites aux États-Unis s’ajoutent maintenant celles réalisées en Europe:
    • en Allemagne en 2017, l’étude de Krefeld révèle que la population d'insectes volants a diminué de 76 % en moyenne en près de trente ans et estiment que cette hécatombe est due aux pesticides agricoles;

Le déclin des insectes en 5 chiffres, Le Point, 19 10 2017, texte


    • en France, le 20 mars 2018, le CNRS et le Muséum d’Histoire Naturelle (MNHN) dans un communiqué commun alertent d’une diminution des oiseaux estimée à un tiers en seulement 15 ans. Ils l’attribuent à l’intensification des pratiques agricoles, à la fin des jachères, à l’apparition des néonicotinoïdes (en particulier sur le blé) et à l’action des herbicides dont le glyphosate;
    • ... 

page de couverture de l apocalypse des insectes

Parvenu au terme de cette chronique de découverte (et de la révision salutaire de mon jugement sur les insectes), je reprendrai quelques informations fournies par Olivier Milman1 concernant le rôle - positif - méconnu ou mésestimé mais pourtant hautement appréciable des insectes:
    •  rôle méconnu notamment des amateurs de chocolat, gourmets et investisseurs: en Afrique et en Amérique du Sud, de minuscules moucherons se glissent dans les fleurs des plants de cacao et évitent de ce fait l’effondrement de l’industrie du chocolat (qui pèse 100 milliards de dollars),
    • rôle mésestimé de nous tous qui sommes occasionnellement en butte à des insectes importuns voire redoutables : des milliers d’autres insectes – mouches vertes et bleues et mouches soldats – nous débarrassent gratuitement des animaux morts, des feuilles pourries et des excréments tandis que des asticots sont utilisés pour traiter des plaies gangrenées sans antibiotiques.

Et je ferai mienne l’aspiration formulée par Dave Goulson qui a été à l’origine de cette révision de mon jugement: «Nous devons juste apprendre à vivre dans la nature et non en-dehors. Et le premier pas consiste à veiller sur les insectes, ces petites créatures qui font tourner ce monde que nous partageons avec elles».    "

 

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 Chronique publiée le 1 mars 2024

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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