Résilience

2023 Résilience, résiliences

Des rebonds parfois fâcheux de la résilience
Des rebonds parfois fâcheux de la résilience

"     Le début du troisième millénaire coïncide avec le succès croissant du mot résilience.

 

La vogue du mot, pas toujours à juste titre ou à bon escient, et de ses produits associés (livres, conseils en tous genres pour les vendeurs, suivi de la mode et intention de briller en société pour les suiveurs) provoquent l'irritation de certains, dont l'entrepreneur et philosophe belge Laurent Hublet, tentés par une «résiliation de la résilience» en cas d'abus manifeste de ce terme.

Ras-le-bol de la silience, L'écho Belge Laurent Hublet, 2022, texte 

 

Mais il faut aussi s'interroger sur les causes d'un intérêt réel et fort répondant à des inquiétudes, voire même une angoisse latente, provoquées par les mêmes causes que celles déterminées pour l'emploi du mot compliqué auquel j'ai récemment consacré une chronique.

Je ne me plagierai donc pas en en rappelant seulement deux: la pandémie et la guerre à la porte de l'Europe. Des événements qui désarçonnent (compliqués) et auxquels on souhaiterait trouver des solutions (la résilience?).

 

Pour approfondir la validité du «remède-résilience» au-delà de ce que j'en connaissais déjà avant de connaître le mot (anticiper par l'action des risques prévisibles et même peu probables s'ils ont un potentiel cataclysmique), en compulsant des ouvrages pouvant se prévaloir d'une expérience crédible (et en évitant soigneusement les auteurs connus pour toute autre chose ayant opportunément découvert la résilience).

 

J'ai tout d'abord choisi des biographies de victimes. Corinne Tanagra, dont la fille est morte dans l'affaire dite de la josacine empoisonnée et qui après une longue et méthodique enquête (celle que l'on aurait été en droit d'attendre de l'instruction face à un citoyen respectable et qui clamait son innocence) a eu des doutes sur la culpabilité de celui qui avait été condamné à vingt ans de prison sur la seule base du tristement célèbre faisceau d'indices sur lequel s'étaient basées les non-moins hasardeuses intimes convictions d'un jury d'assises.

Bref rappel de cette affaire (en 2023 sur BFM TV)
Bref rappel de cette affaire (en 2023 sur BFM TV)

Au terme de longs entretiens avec le condamné, elle a courageusement décidé de le soutenir dans sa troisième demande en révision depuis sa libération conditionnelle en 2006 après douze ans d'incarcération.

Corinne Tanay s'interroge, FranceInfo, 14 11 2019, minute 30

 

Bel exemple de résilience alliant la volonté d'aller au fond de l'affaire à celle d'aider un homme qui n'a cessé de proclamer son innocence en lui apportant un livre en témoignage. Très loin de l'expression empreinte de passivité et de résignation «faire son deuil» dont le sens concret continue à m'échapper...

 

Le livre de Leïla Zaoui est le second récit s'appuyant sur une expérience de victime, une personne qui ne jouissait pas d'une notoriété portée par la télévision ou par les publications spécialisées et dont c'était le premier ouvrage. Elle y raconte son enfance traumatisante de mal aimée et sa reconstruction à l'âge adulte jusqu'à lui faire adopter un rôle de «thérapeute familiale». Le titre principal de son ouvrage «le désamour» ayant pu suggérer une appartenance à la catégorie livres de gare, il y a fort à parier que le second titre «De la maltraitance à la résilience» lui a été suggéré par son éditeur. On admirera son parcours et on se réjouira si l'écriture a pu l'aider à s'en sortir sans toutefois avoir trouvé un enseignement original sur la résilience.

Le désamour - De la maltraitance à la silience, BFM Grand Lille, 2016, minutes

Louis Ploton (photo Eyrolles)
Louis Ploton (photo Eyrolles)

 

Mais au-delà des ouvrages et des conseils relevant d'une approche personnelle, individuelle de la résilience initialement vulgarisée par Boris Cyrulnik, d'autres formes de résilience collective se sont fait jour à destination de communautés les plus diverses (tant en dimensions qu'en critères de groupage).

Loin d'en faire un état des lieux exhaustif, j'ai choisi quelques livres à commencer par celui co-écrit par Louis Ploton et Boris Cyrulnik consacré à la communauté des personnes âgées. 

 

Interview du Pr Ploton, 13 2014, minutes 50

Interviewé, Louis Ploton, Professeur émérite de gérontologie, affirme la modestie de cette première approche de ma communauté en justifiant ainsi sa cible: «L'identité narrative est plus forte que jamais car ils ont repensé, raconté, cherché à comprendre ce qui s'est passé. Ainsi les deux mots-clés de la résilience, l'affect et le sens, sont plus vivants que jamais chez eux. Et ils ont d'autant plus de sens pour eux qu'ils disposent de plus de temps que les actifs pour repenser, raconter, chercher à comprendre … " ... comme que je peux en témoigner par ces chroniques d'un baby-boomer ...

Page de couverture de Plaidoyer ...
Livre à 2 titres ...

 

Un autre auteur, Philippe Maire, qui se présente comme expert en gestion hospitalière, s'est essayé à traiter du même sujet sous le titre «Plaidoyer pour une dimension psychologique et spirituelle de la retraite», titre auquel je subodore que l'éditeur a tenté – mais en vain - de lui faire substituer le second titre plus attractif et visant un public moins restreint «Résilience et sagesse au fil des ans». Un livre qui met la résilience en situation et qui est d'abord à conseiller à ceux des Directeurs de maisons de retraites qui se préoccupent plus de chiffres que de lettres…et de bonnes méthodes respectueuses de leurs clients ...

 

Source El Watam dans Courrier International
Source El Watam dans Courrier International

Je dois dire que j'ai été moins convaincu par la collaboration de Boris Cyrulnik (étendant très largement ici son champ de recherche) avec Boualem Sansal pour produire «France-Algérie – Résilience et réconciliation en Méditerranée».

 

D'abord parce que la résilience ne me semble pas probante de part et d'autre après plus de 60 ans d'autonomie mais aussi parce que les autres exemples de résilience après la guerre 39-45 proposés ne m'apparaissent pas les mieux en rapport le mot. Ainsi:

  • la minimisation de l'action déterminante des collaborateurs (institutions et individus) allant jusqu'au «recyclage» de certains d'entre eux relève plus du pragmatisme de certains pour faire repartir la France et pas se dissimuler sous celui de résilience. Quant à la réaction de certains religieux nostalgiques du Maréchal acceptant d'offrir durablement une cache à un criminel de guerre pour le soustraire à la justice) elle relève plutôt du mot complicité. Mais pragmatisme et complicité à courte vue et à court terme ne feront que retarder l'échéance puisque la vérité devait resurgir dans les années soixante,

  • même silence assourdissant au sujet du martyre juif pour les mêmes causes et pour ne pas entraver le rapprochement de la France et de l'Allemagne dans le cadre de la construction de l'Europe. C'était à mon avis faire injure au peuple allemand des années soixante que de le considérer de fait comme indécrottablement imprégné d'une l'idéologie mortifère qui avait conduits dans les années quarante leurs plus anciens – subjugués ou contraints – à un «désastre hautement éducatif» pour eux-mêmes, leur pays et le monde entier,

  • des silences qui laissaient aux Français restés en France, outre l'impunité provisoire pour des collaborateurs actifs et/ou profiteurs, pour les autres l’illusion de se vivre aux côtés des résistants. Ces autres-là étaient pour ceux qui l'avaient vécu en France, une grande majorité contraints et de moins au moins convaincus par le «chef de l'Etat Français» quand l'issue de la guerre devenait incertaine et que ce «chef de l’État français montrait ses dérives et limites. Il s'agissait des femmes se substituant aux hommes et contraintes de faire vivre chichement leurs familles, des jeunes trop jeunes ou des trop vieux ainsi que des hommes contraints en France quand ils n'étaient pas prisonniers. Pour celles et ceux qui viendraient après, comme moi, il restait à s'interroger sur le choix cornélien qui aurait pu être le leur.

Sans doute peut-on savoir gré à Boris Cyrulnik, lui-même et sa famille victimes de la barbarie, d'avoir tu par pudeur son propre exemple de résilience mais tout de même il y avait d'autres cas de communautés résilientes autres à prendre comme exemples que celles évoquées dans cet ouvrage publié en 2020 (et, pourquoi pas la communauté mondiale, précédemment évoquée pour le passage à l'an 2000).

Couverture du livre "Dessine-moi un trauma"

 

De même, le témoignage d'un seul rescapé de la communauté du Bataclan le soir fatidique ne fait qu'illustrer la capacité de résilience du co-auteur - Fred Dewilde, graphiste - dessinant très tôt la tragédie et commentant en 2020 ces images sorties de son imagination et marquées par son souvenir. Le fait qu'il continue à fréquenter d'autres rescapés de la tuerie, et même à pratiquer l'humour avec eux, démontre que d'autres partagent avec lui cette démarche de résilience. Cependant, on ne peut pas en déduire plus à ce stade de cet ouvrage co-écrit avec Armelle Vautrot – qui se présente comme «Universitaire, conférencière, psy, écrivain» - quant à la réaction de la plus vaste communauté des rescapé(e)s et témoins de toutes les tueries de cette soirée.

moignage et dessins de Fred Dewilde, Le parisien, 2021, minutes 20

 

Présentation du plan de résilience par Jean Castex
Présentation du plan de résilience par Jean Castex

Ma dernière analyse portera sur le plan de résilience économique et sociale porté par Jean Castex en 2022. En l'absence d'ouvrages consacrés à la pertinence du mot résilience dans ce cas, ma connaissance du sujet (limitée, il est vrai) me conduit à considérer que son utilisation est ici superfétatoire. Plan de relance aurait bien suffi.

 

Cela semble du reste rejoindre l'opinion du Ministre de l’Économie et des Finances qui ne traite que d'un Plan National de Relance et de Résilience (résilience en sus par discipline gouvernementale?) en précisant que «les investissements présentés dans le PNRR sont issus du Plan France Relance de 2020 et inclus en tant que tels dans le plan de relance Européen».

Plan de relance pour l’Europe, commission européenne, le 23 2023, texte 

 

Ayant ici beaucoup évoqué les cas dans lesquels l'utilisation de résilience est contestable, je me suis référé au dictionnaire Le Robert en ligne (à ce jour) pour connaître son appréciation … et j'ai encore trouvé à redire (en italique) aux quatre définitions qu'il avance :

  1. Physique. Valeur caractérisant la résistance au choc d'un métal. Métal est trop restrictif car il y a belle lurette que le mot s'applique aussi aux matières plastiques. De plus, à ma connaissance, on utilisait le mot résilience en physique bien avant de pouvoir lui donner une valeur «universelle» avec le test défini par l'Anglais Charpy en 1896 et réalisé par le Français Frémont en 1897.

  2. Psych. Capacité à surmonter les chocs traumatiques. Le mot traumatique est trop fort pour s'appliquer dans tous les cas comme l'ont illustrés certains exemples. Ainsi, pour rester dans l'actualité, il ne semble pas que les futurs retraités de mars 2023 considèrent majoritairement cette échéance comme potentiellement créatrice d'un choc traumatique ...

  3. Écologie Capacité (d'un écosystème, d'une espèce) à retrouver un état d'équilibre après un événement exceptionnel. Je préférerais inhabituel car nous avons vécu récemment des événements qui étaient prévisibles sans être ni exceptionnels ni souhaitables. Par ailleurs, le choix de l'écologie comme seul système (l'écosystème) auquel la démarche de résilience serait applicable est trop restrictif . L'exemple des mesures prises pour les systèmes d'informations à l'occasion du passage à l'an 2000 suffit à l'illustrer.

  4. Informatique Capacité (d'un système ou d'un réseau) à continuer de fonctionner en cas de panne. Certes, l'informatique à tous les niveaux (producteurs de matériels et de logiciels comme personnes et services les mettant en œuvre sur le terrain) a beaucoup à œuvrer professionnellement dans le domaine de la résilience mais un plan de résilience impliquant les fonctions tirant parti de ses services au stade de la conception (exemple des contrats de services) comme à celui de la gestion est indispensable pour ne pas transformer des dysfonctionnements prévisibles en «événements exceptionnels» et potentiellement lourdement dommageables.

Si, comme moi, vous éprouvez le besoin d'en savoir encore plus sur la résilience, je vous conseille le «que sais-je ?» que Serge Tisseron, psychiatre et président fondateur de l’Institut pour l’histoire et la mémoire des catastrophes (entre autres), a consacré à ce mot.    "

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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