Reconstruction

1951 Îlots

 

"Le terme d'îlot n'est plus guère utilisé pour qualifier des îlots de maisons. Il l'avait pourtant largement été à partir de 1935 pour la délimitation de zones dans le cadre de la défense passive, zones confiées à la responsabilité de volontaires devant notamment s'assurer que les habitants se rendaient bien dans des abris lors des alertes.

Le terme d'îlot fut repris après les hostilités pour désigner des périmètres de reconstruction, le chef d'îlot devenant alors l'architecte choisi par le ministère pour concevoir et conduire la reconstruction.

Decauville - évacuation des gravats
Decauville - évacuation des gravats

 

Les premières images que je garde des îlots de Caen sont associées au trajet qui conduit de la gare SNCF à la gare routière. Ce sont celles de gravats disséminés de proche en proche. La plupart des 2 200 000 m3 ont déjà été évacués. On a créé pour ce faire des lignes de chemin de fer à voie étroite et, tractés par des locomotives Decauville, les wagonnets ont en bonne part servi à renflouer les secteurs marécageux et inondables de Saint Jean et de Vaucelle. C'est dire l'envergure des destructions.

 

Les tas de gravats résiduels voisinent avec des baraquements et des immeubles en construction dans un désordre apparent. Les baraquements sont peu nombreux dans le centre de la ville. Il s'agit surtout de commerces et plus particulièrement de cafés et de restaurants (pour les ouvriers de la reconstruction?). J'aurai plus tard l'occasion de me rendre dans un village provisoire de baraquements alignés le long d'une rue en banlieue de Caen. Sans doute les habitants avaient-ils été transplantés là en attendant l'évacuation des gravats et une reconstruction qui ne s’achèverait qu'au début des années soixante.

 

Ces images furtives d'une ville en devenir faite de bâtisses immaculées (la pierre blanche extraite de carrières à proximité de Caen) contraste vivement avec celles du Paris d'alors ou les immeubles sont uniformément gris (l'obligation de ravalement n'interviendra qu'une dizaine d'années plus tard sous l'impulsion d'André Malraux) et ou je n'ai souvenir d'aucune construction nouvelle à l'aube des années cinquante.

 

 

Empruntant ensuite l'autocar pour nous rendre à Noyers-Bocage (aller-retour effectué plusieurs années consécutives à l'occasion des vacances), les villages aux abords de la «route de Bretagne» rendent également compte des affres de la guerre. A Noyers-Bocage, le café situé à l'arrêt du car constitue le point de rencontre ou nous retrouvons la carriole de la cousine.

 

En arrière-plan de ce café, reconstruit lui aussi en pierres blanches de Caen, on aperçoit le bourg en pleine réédification, dépourvu de toute végétation.

 

Le contraste est saisissant avec le hameau du Locheur à quelques kilomètres en contrebas: là, aucune trace de destruction. Le village semble être passé complètement à côté du conflit.

 

En préparant cette chronique, j'ai néanmoins appris que la guerre n'avait pas complètement épargné cet «îlot»: selon un site personnel, le premier démineur français tué en mission dans le Calvados est un habitant du village. 27 autres Français dans ce seul département allaient subir le même sort de 1945 à 1947. 28 Français dont on a conservé l'identité… et 152 prisonniers allemands dont les noms ne sont pas communiqués …et combien après 1947? (mon père trouverait des décennies plus tard une bombe non explosée dans son jardin supposé déminé).

 

Plan de situation du Locheur (versus Noyers-Bocage, Evrecy ...)

 Jusqu'au milieu des années cinquante, mes parents n'avaient pas de voiture et la «route de Bretagne» ou passait le car, seul moyen de transport collectif, était, on l'a vu, à plusieurs kilomètres. Les seules pérégrinations se faisaient donc à pied ou avec le cheval et la carriole de la cousine (il y aurait dans cette contrée des carrioles jusqu'au début des années soixante).

 

Le village que je connaissais bien, du moulin sur l'Odon à la montée, ne comptait qu'une maison récente. Je ne saurais dire si elle résultait d'une bombe perdue. Vraisemblablement, la situation du village à l'écart des grands axes lui avait-il valu le privilège d'être épargné. J'apprendrai plus tard, quand mes parents se seront dotés d'une voiture, que la plupart des villages entourant Le Locheur avaient été rasés à l'image de Caen et de Noyers-Bocage. Ils avaient pour noms Aunay sur Odon, Villers-Bocage, Bougy, Gavrus, Evrecy ...

 

Le Locheur qui comptait à peu près 170 habitants en a gagné une centaine depuis lors (en 2016) mais cela résulte en majeure partie de constructions en périphérie. Le bourg initial a perdu ses commerces et il est devenu plus coquet mais, architecturalement, il est resté pour l'essentiel très semblable à mon souvenir.

 

Chacun peut ainsi établir une comparaison avec l'architecture des villages voisins qui ont été reconstruits (c'est facile avec google street view...).

 

En ce qui me concerne, cet îlot-là (au sens de «territoire marquant une différence avec les territoires environnants») me semble moins factice et plus plaisant à vivre."

 

Images du village du Locheur (source Google street view)

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien