Baby-boomer
Postillon
2020 La chasse aux postillons
" Précisons tout d'abord que cette chronique est écrite en juin 2020, alors que l'épidémie s'époumone quelque peu en France sans que quiconque s'aventure à prédire s'il s'agit d'une rémission durable ou d'un entracte avant un second souffle.
La préoccupation du coronavirus gagne la France au début de l'année. Comme le virus est apparu en Asie et que l'on s'est accoutumé à observer dans cette partie du monde des habitants portant des masques, la question est rapidement posée de la mise à disposition de cet équipement (bien avant qu'un confinement ne soit envisagé). Cette solution est fermement repoussée par les édiles gouvernementaux.
En réécoutant l'explication donnée le 26 janvier, je suis étonné et même quelque peu atterré de mon absence d'esprit critique sur le moment (et de celle de la journaliste qui interroge la ministre de la santé): il serait hors de propos d'évoquer cette utilisation de masques car «on ne sait pas qui est contaminé». Or, si on ne sait pas qui est contaminé et que l'on n'est pas en mesure de tester massivement la population, pourquoi se priver d'un moyen éprouvé a priori simple et peu coûteux? D'autant que la ministre s'empresse d'ajouter que ce choix n'est pas dicté par une pénurie «nous avons des dizaines de millions de masques en stock» mais des masques «totalement inutiles» en cette circonstance.
Quand la ministre aura délaissé sa mission pour briguer une autre responsabilité, son successeur maintiendra encore cette position le 4 mars: «l'usage des masques est inutile». Selon ses propos, on pourrait déduire que les masques chirurgicaux changés très fréquemment seraient utiles aux seuls soignants tandis que les masques «grand public» seraient des ustensiles sans intérêt.
"L'usage des masques est inutile" selon Olivier Véran, BFMTV, 4 3 2020, 50 secondes
Le 16 mars, le Président annonce un confinement de longue durée applicable dès le lendemain et scande son intervention de l'antienne «nous sommes en guerre».
"Nous sommes en guerre", discours du Président, France 24, 16 3 2020, 40 secondes
Une guerre qui n'a pas de volet chasse aux postillons puisque le masque ne fait pas partie de «gestes barrières» . Les armes retenues sont:
- la distanciation sociale, en fait un éloignement physique fixé à un mètre, une distance très insuffisante comme je le savais depuis 55 ans grâce à Boby Lapointe,
- la promotion d'une pratique rustique consistant à éternuer dans la manche de sa veste (seuls les postillons – qui ne sont pas encore explicitement nommés ainsi – liés aux éternuements sont identifiés). On observera que cette pratique n'est pas vraiment spontanée pour des personnes ayant un certain savoir-vivre et qu'elle fait peu de cas de la santé de nos teinturiers. En outre, une autre pratique va se développer, spontanément celle-là, consistant à se saluer sans se serrer la main mais … en se poussant des coudes, moyen efficace s'il en est de se partager la bestiole infernale.
Le 15 avril, le MIT publie une étude d'où il ressort que «les gouttelettes se déplacent en nuage et parcourent une distance pouvant atteindre 6 mètres», ratification scientifique par conséquent de mon expérimentation Lapointe.
Le voyage des postillons. Le Figaro santé, Etude MIT, 15 4 2020, texte et illustrations
Dans les recommandations gouvernementales, les «petits postillons» liés aux émissions vocales font enfin leur apparition. On notera que postillon défini déjà comme une «petite goutte de salive projetée en avant» aurait suffi. Mais peut-être tient-on encore à minimiser leur rôle dans le déploiement de l'épidémie et de ce fait à relativiser l'utilité de masques si longtemps snobés?
A l'appui de cette hypothèse, le fait que dans les nouvelles recommandations la promotion des masques n'apparaît pas comme une mesure de premier plan mais comme un «complément de ces mesures» présenté en fin de liste un peu comme un acteur de complément en quelque sorte.
Aux masques, que l'on commence enfin à pouvoir se procurer sans trop de difficultés à partir de la mi-mai, s'ajoutent alors d'autres «dispositifs barrières» du même ordre :
- des écrans plastifiés transparents couvrant les visages,
- des dispositifs de fortune, films plastiques souples et plexiglas tendus aux caisses des magasins.
Réapparaissent aussi des isolations que l'on croyait définitivement disparues:
- l'hygiaphone qui avait fait son apparition en 1945 pour protéger les personnels de guichets d'une mauvaise grippe,
- dans les taxis, la séparation entre les places avant réservées au seul chauffeur et les places arrière, formule qui n'était plus guère utilisée que dans les exotiques taxis londoniens.
En juin, quand il s'agit de déconfiner la population, il apparaît que les transports collectifs ne peuvent absorber le flux des voyageurs en respectant les gestes-barrières réputés de base, ce même en tenant compte de l'injonction de maintien au domicile de ceux qui peuvent pratiquer le télétravail … et de ceux qui ne retrouvent pas leur travail.
S'opère alors ce que l'on peut appeler à juste titre et sans mauvais jeu de mots une volte-face: de mesure de complément tardivement préconisée du bout des lèvres, le masque devient mesure unique, obligatoire et dont le non-respect vaut réprimande.
Comme souvent, je trouverai la morale de cette histoire dans une fable de Jean de la Fontaine. Non pas comme on pourrait s'y attendre «les animaux malades de la peste» mais plutôt dans «le renard et les raisins», lequel renard «comme il n'y pouvait point atteindre, ils sont trop verts, dit-il et bons pour des goujats».
Raisins … masques ... "
Le renard et les raisins, poesie.webnet, texte
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Chronique publiée en juillet 2020
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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