Baby-boomer
Intelligence Artificielle
2022 IA pour tous
" Je ne vous étonnerai pas en commençant par énoncer que de 2016 à 2022, l’IA a continué à progresser, les perfectionnements les plus significatifs concernant l’utilisation des réseaux de neurones profonds qui améliorent notamment la vision par ordinateur et le traitement du langage naturel. De ce fait, l’IA étend encore le domaine de ses applications professionnelles mais l’événement de l’année réside dans le surgissement de l’IA conversationnelle ou générative.
Le titre «IA pour tous» se justifie par la mise à disposition gratuite et mondiale en novembre d’un outil IA, ChatGPT, capable de dialoguer en 30 langues avec des humains sur tous les sujets imaginables.
J’ai pensé utile de faire part de mon diagnostic reposant sur des «travaux pratiques» conduits avec cet outil : ChatGPT est particulièrement remarquable à la fois par sa bonne maîtrise de la langue (pour comprendre son interlocuteur comme pour lui répondre instantanément) et par sa capacité à converser sur tout sujet en apportant souvent des idées auxquelles je n’aurais pas pensé.
Par contre, il commet des erreurs de diverses natures, ce sur quoi je me suis concentré pour écrire l’étape 2023 qui suit (Bla bla, gare!), étape qui complète en fait celle-ci couvrant les événements survenus jusqu'à ce mois d'août du fait de la place consacrée à ChatGPT.
Le conseil que je déduirai de cette analyse : n'utilisez ChatGPT que comme vous le feriez avec un humain, c'est-à-dire en n'engageant pas un dialogue sur un sujet dont vous ignorez tout.
Vous serez alors en mesure de le contester voire de le contredire si, comme tout être humain, par ignorance, confusion de son réseau de neurones ou forfanterie (option de répondre immédiatement avec le peu d'éléments dont il dispose pour faire illusion), il lui arrive de commettre des fautes ou de sortir du sujet que vous vouliez aborder avec lui.
Je me concentrerai ici sur les dangers créés par l’utilisation abusive, inappropriée voire malhonnête de ChatGPT, dangers qui s’ajoutent aux changements importants pour l’emploi que nous avons évoqués durant l’étape précédente. Cela requiert une anticipation et donc la définition d’une stratégie nationale. Nous verrons ou nous en sommes en France sur la base des informations disponibles sur les sites gouvernementaux.
Un exemple de malhonnêteté nous est donné sur internet: celle qui consiste à soumettre à un éditeur un ouvrage sur un sujet dont on ne connaît absolument rien et qui a été intégralement réalisé par ChatGPT. Les éditeurs commencent à être alertés sur cette pratique au point que l’un d’entre eux envisage ironiquement de créer un prix spécial, le prix ChatGPT.
Je n’ai pas encore eu connaissance d’arnaques utilisant les ressources de ChatGPT mais la maîtrise correcte du français de ce dernier facilitera au moins l’hameçonnage aux personnes mal intentionnées en rendant leurs attaques plus crédibles.
Au niveau institutionnel, les dérives de l’IA constituent dès maintenant des réalités:
- en Chine, les caméras de surveillance servent aussi à enregistrer les faits et gestes des «mauvais citoyens» suspectés de ne pas adhérer au régime,
- en Iran, la décision a été prise, au nom d’un précepte religieux, de détecter les femmes ne portant pas le voile pour les enrégimenter et les sanctionner plus encore .
Chine un peuple sous surveillance, ARTE Le dessous des cartes, 02 06 2023,12 minutes 20
Dans les régimes démocratiques, ces risques ne constituent pas la préoccupation la plus forte. En revanche, tirer le meilleur parti de l’IA sans créer des bouleversements dommageables pour le peuple et ses citoyens constituent des obligations de la plus haute importance.
En France, en 2017, le Gouvernement a lancé une réflexion autour du développement de l’IA, réflexion menée par le député Cédric Villani dont il a dégagé une proposition de stratégie en 2018.
Rapport de Cédric Villani, site gouv., 28 11 2018, texte et illustration
Trois secteurs d’activité sont privilégiés dans ce rapport: les transports, les banques et la santé qui donnent lieu à des conclusions d’une portée générale:
- tous les secteurs sont concernés et pas seulement ces trois-là,
- les organisations doivent être repensées,
- le remplacement de l’homme par l’IA là ou c’est possible et souhaitable est inéluctable,
- la concurrence internationale en matière d’expertise IA peut conduire à des «scénarios disruptifs» dans certains secteurs («passer à l’IA» pour rester compétitif et ne pas disparaître comme cela s’est passé pour le transfert d’activités dans des pays à faible coût de main d’oeuvre).
et deux recommandations principales :
- lancer un chantier prospectif pour anticiper les effets de l'IA,
- assurer la formation des travailleurs aux enjeux de l'IA.
Sur le lien qui figure précédemment, on trouve à la fois le moyen de retrouver le rapport complet et un constat fait à cette date : "La France dispose d'un savoir théorique indéniable avec des cerveaux recherchés à l'étranger, mais qui ne se traduit pas encore par l'émergence de grandes entreprises leaders."
Aussi est-il très surprenant de constater que la première phase 2018-2022 visait à renforcer les capacités de recherche en IA, ce qui n'allait pas dans le sens de ce constat.
Sur le site gouvernemental, les derniers résultats de l'étape 2018-2022 datent de fin 2021 et font uniquement état de valeurs chiffrées, vision très incomplète et peu convaincante par conséquent de ce que l’on pourrait attendre en fait de résultats d’un plan stratégique dont la première phase s’est achevée il y a huit mois à la date de consultation de ce site (août 2023) :
- 81 laboratoires,
- 502 start-ups,
- 13459 personnes oeuvrant dans ces start-ups.
Sur ce dernier point, il est précisé que «9000 personnes devraient être recrutées en 2022» mais ou en est-on et surtout de quels résultats concrets peut-on se targuer?
N.B. Aucune information n'est donnée sur le niveau d'atteinte des objectifs qui avaient été fixés en 2018.
Le 8 novembre 2022, le plan de financement de l’IA (qui couvre la période 2021-2025) est publié. Il prévoit de consacrer 2,2 milliards d’euros à l’IA et fait l’objet d’appels à projets à échéance 2025 («démonstrateurs» d’IA) et 2030. On pourrait enfin sortir d'un objectif jusqu'ici centré sur l'IA (et pas sur ses conséquences).
Stratégie pour l'IA, Gouvernement Min. Fin. 19 06 2023, texte
N.B. Ce plan a été réédité en juin 2023 pour y ajouter la création d'un "IA-cluster" annoncé par le Président de la République au salon Vivatech 2023, l'"IA cluster" vise à renforcer les pôles d'éducation et de recherche à l'horizon 2030.
Là aussi, les objectifs sont exprimés par des nombres:
- 500 PME et ETI (entreprises de 250 à 4999 salariés),
- 3700 étudiants à former dont 1500 en master par an,
- 15% du marché mondial de l’«IA embarquée» (intégrée dans des systèmes matériels et logiciels)
Concernant ce troisième point, quelle unité de mesure internationalement acceptée permettra-t’elle de déterminer si l’objectif est ou non atteint?
De plus, pourquoi n’avoir défini qu’un objectif de résultat chiffré et l’avoir limité à une partie de l’IA qui, selon ma compréhension, ne nous permettra pas de mériter le titre de pionnier que revendique la stratégie:
- pionnier désigne ceux (entreprises ou personnes) qui sont les premières à se lancer dans un domaine,
- il n’y a rien de particulièrement nouveau ni dans la conduite autonome (des robots-taxis sillonnent les rues de San Francisco depuis 2014), ni dans les assistants vocaux, ni dans les caméras de surveillance assistées par ordinateurs (tous «dispositifs» généralement classés dans l’IA embarquée) que l’on a vu apparaître depuis le début du millénaire. Pour être pionnier dans ce domaine, il aurait fallu s’y prendre plus tôt et au niveau européen pour disposer des ressources nécessaires.
Le 26 janvier 2023, Sylvie Retailleau, Ministre déléguée à la Recherche attachée au Ministre des Finances annonce enfin la nomination de M Guillaume Avrin au poste de coordinateur national pour l'intelligence artificielle.
"Il aura pour mission la coordination interministérielle de la stratégie nationale en intelligence artificielle" et pour cela sera "rattaché au directeur général des entreprises du ministère de l’économie et des finances".
La lettre d'annonce qui arrive bien tardivement précise en outre que M Guillaume Avrin, est "rattaché au directeur général des entreprises du ministère de l’économie et des finances", ce qui ne me semble pas le meilleur rattachement pour assurer une fonction de coordination de cet ordre.
Je reviendrai donc sur cette nomination après être allé consulter les sites gouvernementaux du Ministère du Travail (parce que la préoccupation de l’impact de l’IA sur l’emploi est forte) et celui du Ministère de la Justice (parce que l’IA serait susceptible d’aider à réduire les effets délétères sur les délais de traitement d’une justice débordée depuis longtemps) pour voir ou en en est cette stratégie IA que coordonne depuis 7 mois M Guillaume Avrin.
J’ai donc poussé ma recherche sur le site du Ministère du travail et n’y ai hélas trouvé que les «premiers résultats d’une étude sur le développement de l’IA dans les organisations» publiés le 28 mars 2023. Il s’agit d’une enquête faite auprès de 250 décideurs d’entreprises et d’organisations publiques.
L'IA dans les organisations, premiers résultats, Rapport LaborIA, 28 03 2023, texte
Matière intéressante certes mais révélatrice du niveau d’avancement sur le sujet: on en reste au stade du collationnement d’informations en vue de définir ce que l’on fera plus tard. De plus, les 4 secteurs d’activité de ces décideurs sont différents de ceux du rapport Villani pour 3 d’entre eux.
Drôle de continuité cinq ans après.
Le site du Ministère du Travail renvoie également à celui initié par sa Délégation Générale à l’Emploi intitulé Perspectives IA.
Site Perspectives IA, Délégation à l'Emploi et MEDEF
Ce site vise à «accompagner les dirigeants, les collaborateurs et le grand public vers une meilleure connaissance de l’IA (…)». Un site plutôt bien fait mais très incomplet (recommandations par secteurs d’activités prévues dans la structure mais restées vides à ce stade) et dont la promotion reste à réaliser pour contribuer un tant soit peu à l’atteinte du second objectif proposé par Cédric Villani dans son document de 2018.
Cette stratégie par secteurs (par ministères) est pourtant essentielle.
Si je considère la justice, le site gouvernemental titre en 2021 à propos de l’IA «Une révolution est en cours» mais on ne trouve la concrétisation de cette révolution que dans le domaine de la protection des données à caractère personnel
L'IA dans les décisions de justice, une révolution en cours, Gouv. Site Public, 22 11 2021, texte
L’IA pourrait pourtant décharger sensiblement juges et tribunaux, allant jusqu’à assumer le traitement des délits mineurs (comme l’Estonie le fait déjà) et à proposer des peines tenant compte de la loi, de l’historique des jugements et de la jurisprudence.
En Estonie, une IA va rendre des décisions de justice, Le Figaro, 01 04 2019, texte et illustration
La question de l’affectation de la responsabilité en cas de défaillance de l’IA mérite aussi une réflexion et des prises de décision.
Et l’on pourrait ainsi multiplier les questions restées ouvertes dans tous les secteurs.
Peut-être mon regard critique tient-il, au moins en partie, à une communication maladroite et non actualisée sur ces sites gouvernementaux.
Toujours est-il que je ne ressors pas vraiment rasséréné de cette immersion dans le dédale des sites gouvernementaux censés servir de référence officielle.
Ce sujet qui concerne notre avenir à terme rapproché dans tous les domaines mériterait par ailleurs à mon avis la nomination d'un Ministre expérimenté directement rattaché au Premier Ministre, un Ministre qui aurait autorité pour coordonner effectivement les interdépendances entre les progrès techniques qui s’accélèrent et les anticipations qui s’imposent aux Ministères, un "Ministre politique" enfin qui sache faire partager cet «enjeu du siècle» à ses concitoyens.
Pour écrire cette chronique, j'ai notamment compulsé les ouvrages suivants :
La société de surveillance made in China, Zhang Zullin, Editions de l'aube 2023
Géopolitique de l'intelligence artificielle, Pascal Boniface, Editions Eyrolles 2021
Contre-Atlas de l'intelligence artificielle, Kate Crawford, Zulma 2022
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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