Funérailles
1963 Pompe, pompes
"Les pompes funèbres concernent l'organisation des obsèques et la définition des rôles de leurs officiants et artisans: porteurs, marbriers et tous ceux qui, aux côtés des croque-morts, concourent au déroulement de la cérémonie.
La pompe au singulier est synonyme de magnificence, de luxe et de cérémonie. Elle n'est pas spécifiquement attachée à l'organisation des obsèques. Néanmoins, durant mes années d'enfance, les pompes funèbres sont toujours marquées d'une certaine pompe, à la mesure bien entendu des moyens financiers des familles. Je vais en donner quelques illustrations."
"Dans la campagne bas-normande comme à Paris, on constate une volonté marquée de donner aux cérémonies tout le décorum approprié. De ce dessein témoigne encore aujourd'hui la sophistication des monuments funéraires. Ainsi de la pierre tombale de cette parente enterrée au début des années cinquante dans le hameau du Locheur (Calvados), pierre agrémentée en son centre d'une sorte de petit jardinet coquettement ceint de chaînettes suspendues à des supports en fer forgé."
"Si l'on n'édifie sans doute plus guère de chapelles aux dimensions d'abris de jardins, on se contente rarement de la sobriété d'un bloc de pierre, fut-il de marbre."
"A Paris, je garde le souvenir des tentures funéraires de grande envergure qui ornaient les entrées des immeubles de la mort de l'un des habitants jusqu'à la formation du convoi. L'initiale de son nom figurait en caractères gothiques blancs sur ces parures inévitablement noires."
...
"A la campagne, le glas sonnait dès la survenance de la mort d'un villageois. Je me souviens alors (c'était dans le Perche) du temps d'arrêt marqué par les paysans qui nous accueillaient, temps d'arrêt suivi des interrogations sur l'identité du défunt et les conjectures qui s'ensuivirent à propos de celui que l'on savait mal en point.
Comme l'annonce de la mort d'un villageois, son «dernier voyage» ne pouvait être ignoré de quiconque puisqu'il donnait lieu à une procession du domicile au cimetière, le mort étant convoyé dans un corbillard fatalement noir mais généralement doté d'un attirail suffisamment ostentatoire pour ne laisser aucun doute quant à la destination du cortège (ornements à l'extérieur, initiale du défunt en exergue et tentures à l'intérieur)."
"Le noir était la couleur du deuil. Les faire-parts étaient bordés d'un large cadre noir et je crois même me souvenir que les enveloppes annonçaient d'emblée aux destinataires … la couleur."
"On n'hésitait pas à compléter sa garde-robe pour la circonstance ou à avoir recours au teinturier pour adapter prestement la teinte de sa vêture («deuil en 12 heures» proclamaient les teinturiers sur leurs devantures). Les femmes se paraient de voilettes opaques et les hommes conservaient longtemps après l'événement un large liseré noir au revers de leurs vestes."
"Une disparition pouvait donner lieu à la réapparition de vivants que l'on avait quelque peu perdus de vue et qui se manifestaient à l'occasion des visites de condoléances, des veillées mortuaires où l'on se relayait de jour comme de nuit au chevet du mort ou du repas funéraire auquel se côtoyaient les connaissances du défunt après la cérémonie pour des agapes roboratives avant de regagner leurs pénates d'un bon pied.
Comme on vient de le voir, le passage de vie à trépas n'était pas particulièrement marqué du sceau de la discrétion.
Certains échappaient pourtant à ces salamalecs survenues trop tard pour qu'ils puissent les désapprouver ou en jouir. Ainsi, je me souviens que ma mère désignait un endroit du cimetière d'Evrecy (Calvados), un carré réservé aux suicidés , lesquels s'étaient ainsi vus, à titre posthume, privés de rites. Ma mère, originaire du village, n'est plus là pour me confirmer si cette mise à l'écart avait encore cours durant mon enfance mais, plus généralement, des historiens rappellent qu'un certain ostracisme avait également été pratiqué dans le passé à l'égard des défunts non-baptisés, prostitués et homosexuels."
"Interdite aux catholiques dans une Basse Normandie très majoritairement acquise à cette religion, la crémation n'était même pas évoquée, le terme d'inhumation ayant valeur de synonyme d'enterrement."
"Avec la levée de cette interdiction par le concile Vatican II en cette année 1963 et plus encore sans doute avec la baisse d'influence de la religion et l'évolution de la société, les pompes funèbres allaient perdre de leur pompe."
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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