Funérailles

2014 Modes et travaux de deuil

"La notion de travail de deuil est issue des sciences humaines. Marie-Frédérique Bacqué et Michel Hans la caractérisent ainsi : «le travail de deuil a un sens, celui de vouloir continuer à vivre en essayant d'intégrer à la vie l'expérience de la mort, de la finitude, de la négativité».

Dans ce cadre, une description minutieuse des états par lesquels sont susceptibles de passer les proches du défunt a été établie. Cependant, la science est beaucoup moins diserte sur le mode opératoire à suivre pour mener à bien ce travail-là au point qu'il est permis de se demander si l'on ne confine pas ici à l'emploi fictif.

 

Les média de grande diffusion se sont emparés de la formule que l'on voit surgir – généralement en compagnie de la non moins fameuse cellule psychologique - à l'occasion de tout fait divers se terminant suffisamment mal pour accéder à une publication. Dans ce contexte, il n'est question que d'«entreprendre le travail de deuil», commencement associé soit à la découverte du corps, soit au jugement de l'assassin (encore faut-il que la sanction convienne). Rien n'est dévoilé sur la suite du processus.

La notion de travail de deuil me semble par conséquent pour le moins ténébreuse à moins de la confondre avec les effets du temps et des défaillances de la mémoire. En revanche, celle des modes associées au deuil apparait plus pertinente et plus intéressante à examiner. "

"La mode d'hier impliquait un cérémonial, celle d'aujourd'hui aurait plutôt tendance à occulter l'événement. De nombreux facteurs concourent à cette évolution."

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"En 2014, 75% d'entre nous finissent leurs jours dans un hôpital ou dans une maison de retraite, et ces établissements sont souvent éloignés du lieu de vie de ceux que l'on persiste à appeler des proches."

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"Les espaces de convivialité post mortem se font rares : chambre funéraire et funérarium ne sont guère propices aux palabres funéraires.

 

Malgré cette distance croissante entre les vivants et les morts, malgré la chute vertigineuse des pratiques religieuses (je n'évoque ici que les pratiques catholiques auxquelles ma famille était attachée), les funérailles «à l'église» conservent la faveur du plus grand nombre, souvent, je pense, plus par conformisme ou par respect des «dernières volontés» que par un attachement sincère au sacrement."

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"La volonté d'occultation de la mort et la montée croissante de l'individualisme contribuent sans doute également au dépérissement des cérémonies pompeuses, tout rite étant lié à une collectivité. Les corbillards constituent une bonne illustration de cette évolution. Hier fourgons aisément identifiables par leur couleur noire et par leurs décorations éminemment distinctives, accompagnés de lentes processions obstruant la chaussée, ils se fondent désormais dans la circulation automobile sous des allures de campings-cars. "

"Toutefois, à côté de cette tendance forte à la banalisation et au camouflage se développent de nouvelles modes souvent dissociées des rituels religieux et sans doute favorisées par un marketing mortuaire à la recherche de nouveaux débouchés."

 

"Des obsèques civiles sont proposées avec recherche de «mises en scènes originales». Pour donner des idées aux «intéressés», les publicités citent comme exemples le dépôt de bottes de pailles dans le funérarium pour la chute fatale d'un jockey et la distribution gratuite de brioches chaudes précédant l'incinération d'un pâtissier (cf. Le Point du 7 11 2013).

 

Certains vont même jusqu'à oublier cette componction un peu sirupeuse qui constituait jusqu'à présent la marque de fabrique des croque-morts en accompagnant la photographie d'une fastueuse limousine noire de la légende: «Une fois dans votre vie, roulez en limousine...»."

"Les cendres des défunts constituent également une mine fertile pour l'imagination des «créatifs» du marketing macabre.

Pour les familles conservatrices (des cendres), on propose ainsi des urnes plus ou moins précieuses pouvant – en option - être surmontées d'une effigie du défunt en trois dimensions (forme moderne d'embaumement sans les inconvénients).

Pour celles soucieuses d'éviter les gaspillages tout en joignant l'utile à l'agréable, on utilisera les cendres pour réaliser de coquets bijoux.

Et à ceux qui souhaitent quitter définitivement le monde des humains (ou à leurs héritiers désirant se débarrasser à jamais de restes, aussi infimes soient-ils, de leurs bienfaiteurs) on proposera une dernière expédition au-dessus des fosses profondes de l'océan.

A l'inverse, aux plus exubérants on vantera la magnificence d'un spectacle pyrotechnique mêlant leurs cendres aux explosifs d'un feu d'artifice spécialement dédié à leurs adieux.

 

Une autre manière de monter au ciel ... "

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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