Essentiel

1956 Essences essentielles

"   Quelques précisions tout d'abord au sujet de ce titre: le pluriel attribué aux essences est justifié par le fait que le carburant qui nous intéresse ici est celui destiné aux réservoirs des automobiles des foyers (et pas l'essence dont a besoin l'économie toute entière). Il s'agit d'essence car en 1956, à l'exception de rarissimes Mercedes importées, aucun réservoir de voiture n'accepte de gas-oil.

Quelques données sur le parc automobile français: de la fin de la guerre à 1956, il est passé de moins de deux millions d'unités à quatre millions et cette progression s'accélère puisqu'il a cru d'un quart de 1954 à 1956.

Il ne faudrait cependant pas en déduire qu'en 1956 une large partie de la population française dispose d'une automobile: quatre millions, cela représente moins d'une pour dix habitants, ratio à comparer à celui de 2021 de un véhicule pour moins de deux habitants tous âges confondus.

 

C'est dans ce contexte que survient la crise du canal de Suez, crise faisant suite à la décision de nationalisation de ce canal par l’Égypte le 26 juillet 1956. Sans entrer dans le détail du conflit armé hasardeux dans lequel Guy Mollet engage la France aux côtés de la Grande Bretagne et d'Israël, on retiendra ce qui nous intéresse ici, à savoir un approvisionnement en essence sensiblement diminué.

La crise du canal de Suez, La grande explication, 17 2 2020, 4 minutes 50

Pompes à sec

Dans un premier temps (ce devait être en octobre), les stations-services ferment les unes après les autres. Un dimanche, il faut pousser assez loin en banlieue parisienne pour remplir la petite nourrice de la 4cv Renault familiale.

Puis en novembre, un rationnement est institué. Il est fonction de la cylindrée fiscale qui figure sur la vignette automobile décidée en juillet (donc antérieurement au conflit) pour, était-il annoncé, financer les revenus des plus de 65 ans.

Ticket de rationnement

Ce retour des tickets de rationnement est mal ressenti par la population, ceux consécutifs à la guerre n'ayant disparu que sept ans auparavant. De plus le rationnement provoque le retour de la débrouille et du marché noir.

Pas de marché noir pour mes parents mais de la débrouille tout de même avec une virée chez un collègue de mon père qui a constitué une réserve dans son appartement (!) et, dans le Calvados, l'obtention d'un plein sans tickets auprès du garagiste qui tient le garage qui, bien longtemps auparavant, avait appartenu à mon grand-père maternel.

 

Ces quelques anecdotes familiales éclairent l'importance accordée à cette denrée devenue rare mais vraiment pas essentielle puisque mes parents n'utilisent la voiture que durant leurs loisirs et que, au sortir de la guerre, lorsqu'ils s'étaient dotés de vélos, ils n'imaginaient sans doute pas accéder à ce luxe.

Le problème de l'essence en France, Les actualités françaises, 5 12 1956, 1 minute 20

L'autre éclairage, plus général, nous est apporté par les films d'actualité conservés par l'INA. Guy Mollet tout d'abord qui, le 12 novembre, stigmatise le manque de civisme de ses concitoyens automobilistes: «il s'est créé un incroyable désordre» assène t'il sans doute pour faire oublier le désordre économique créé par son équipée rapidement interrompue par les États-Unis et par l'Union Soviétique (relèvement considérable du prix moyen des importations, pénurie de matières plastiques …). Aucune information à ce sujet dans les actualités cinématographiques et télévisées.

Appel du président Guy Mollet au civisme français, pour l'essence, Les actualités françaises, 21 11 1956, 1min 20

Robot pourvoyeur de tickets de rationnement

Comme le rationnement commencé en novembre 1956 se poursuit en 1957, en février, les Actualités Françaises présentent un «établissement des chèques tickets par robot». En fait, il s'agit d'un simple programme exploité en mécanographie (le mot informatique ne sera inventé qu'en 1962) qui transforme des paquets de cartes perforées à partir de bordereaux préalablement manuscrits en piles de papier à découper pour en faire des tickets.

Etablissement des chèques tickets essence par robot, Les actualités françaises, 20 2 1957, 30 secondes

Couverture de télé magazine avec Jacques Grélo et Robert Rocca (la boîte à sel)

Pour sourire un peu plus encore de cette focalisation sur la pénurie qui frappe les automobilistes et qu'intériorisent tous ceux qui aspirent à accéder à ce statut, l'émission télévisée «la boîte à sel» fait appel à des chansonniers (Robert Rocca, Jacques Grélo) et à personnes connues par la télévision (Pierre Tchernia, Raymond Souplex) et par la radio (Jean Carmet, le fils de la famille Duraton sur Radio Luxembourg) . Là non plus, les conséquences sévères pour l'économie n'ont pas leur place. Seul compte le psychodrame des nourrices d'essences.

Pénurie d'essence et humour, La boîte à sel, 2 12 1956, 3min 20

 

Il faudra patienter jusqu'en juin pour que celui-ci s'achève.   "

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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