Bois

1957 Objets perdus

"    Comme précisé dans l'introduction, l'année 1957 ne concentre évidemment pas la disparition de tous les objets ayant recours au bois. Elle serait plutôt l'année médiane d'une période qui s'étend approximativement jusqu'à la fin des années soixante.

 

Beaucoup de ces objets ont été mentionnés dans des chroniques précédentes, certaines leur ayant même été dédiées comme en décembre 2021 celle consacrée aux sabotiers. A chaque fois qu'il en sera ainsi, je créerai un lien (à l'exemple du lien sur sabotiers) permettant au lecteur d'ouvrir une autre fenêtre pour faire, s'il le souhaite, un crochet, un détour pour fureter plus avant.

 

Le premier objet perdu en bois qui me vienne à l'esprit est le moulin à café dont le corps est en bois avec un tiroir qui recueille le résultat des efforts de son propriétaire. Je croyais bien avoir fait le tour des évolutions de cet objet avec les trois moulins (dont deux Peugeot Frères) de l'héritage familial.

 

Les 3 moulins à café de l'héritage familial
Le moulin à café electrique Rotary à bouton

En effet, mes parents avaient très tôt accédé à la modernité dans ce domaine en faisant l'acquisition d'un moulin électrique Rotary.

 

Bien que fort jeune au début des années cinquante, je gardais le souvenir de cet événement qui s'était accompagné d'une attraction inattendue que je ne résiste pas au plaisir de raconter ici: l'engin se présentait en fer peint en blanc surmonté d'un couvercle translucide marron en matière plastique. Pour actionner la moulinette électrifiée, il fallait d'une main appuyer sur un bouton … et de l'autre main tenir le couvercle fermé. L'appui sur le couvercle fermé ne déclenchait rien du tout mais le seul appui sur le bouton provoquait l'attraction annoncée. Le couvercle était immédiatement expulsé et le café moulu se répandait dans l'atmosphère. C'étaient les débuts et très vite, on devait remédier en faisant en sorte que l'appui sur le couvercle soit nécessaire et suffisant pour réduire ce «petit électroménager» à la seule fonction souhaitée.

 

Le moulin à café en plastique Peugeot Frères

Pour revenir à notre sujet, en cherchant sur les sites spécialisés , j'ai découvert que Peugeot Frères avait continué dans les années cinquante à commercialiser un moulin à café dont le corps en bois clair assemblé par tenons et mortaises avait été remplacé par un récipient moulé en matière plastique de diverses couleurs affriolantes.

 

Cela illustre bien la progressivité des changements qui se sont opérés dans cette période.

Un autre équipement est emblématique en France de la période d'après-guerre : la cuisine en éléments de formica avec ses modules de rangement suspendus qui laissent la place au sol pour le «gros électroménager» qui se déploie lui aussi sur des années. Le formica est un bois stratifié qui se dissimule sous une couche protectrice donnant l'illusion de la matière plastique. Dans mon entourage, personne n'a choisi de remplacer complètement sa cuisine par ce symbole des «trente glorieuses» mais la publicité invasive (déjà aux entractes des cinémas) ne saurait me permettre de l'ignorer.

D'autres équipements en bois ont disparu (du moins, dans les endroits de mon enfance) ou ont été transmués en pièces de collection:

  • dans la maison de la cousine du Locheur, le rouet à l'usage duquel ma mère avait été invitée,

  • dans la ferme familiale du Boulay, la baratte à beurre qui contribuait, dans une pièce aveugle jouxtant la «pièce à vivre» à la quasi-autarcie des paysans,

La ferme du Boulay à Dorceau (Orne)
La ferme du Boulay à Dorceau (Orne)
  • un peu partout, les glacières et les garde-manger en bois victimes de la survenance du réfrigérateur, premier «gros électroménager» à se répandre,

  • de même, les ustensiles en bois utilisés aux lavoirs municipaux (au Locheur et à Evrecy) et dans les dernières laveries parisiennes deviendraient superfétatoires à l'installation des machines à laver (on précisera plus tard encore «le linge» quand la machine à laver la vaisselle s'ajoutera à l'équipement du «foyer» moyen

 

GALERIE DE PHOTOGRAPHIES D'OBJETS DOMESTIQUES PERDUS :

 

 

Le bois des autres petits objets du foyer tend à être remplacé généralement par des matières plastiques qu'il s'agisse d'abord des postes de radio puis des postes de télévision.

 

D'autres objets en bois disparaissent encore :

  • horloges et carillons du fait de la hausse du niveau de vie qui permet la diffusion des montres y compris aux enfants pas encore sortis de l'enfance,

  • thermomètres et baromètres en raison des progrès de la météorologie et de sa place sur les ondes,

  • crucifix en bois surmontant les lits à cause de la baisse d'adhésion et de pratique religieuses (catholique car je ne peux parler que de celle-là),

  • jouets également car, contrairement à ce que beaucoup pensent aujourd’hui, les jouets en bois étaient déjà en minorité concurrencés par le fer (jeux de construction Meccano par exemple) et le plastique (voitures miniatures Norev par exemple).

 

A la campagne, dans les jardins, les brouettes en bois, roues cerclées comprises, seront encore commercialisées à la fin des années cinquante (mes parents en achèteront alors une aux Galeries de Caen).

 

Le progrès hygiénique mettra progressivement fin aux cabanons bricolés à usage de cabinets d'aisance tandis que les abris de jardins industrialisés (en bois mais plus seulement) se répandront.

Sièges en bois du métro

Passons maintenant aux moyens de transport.

 

Dans les trains, les sièges intégralement en bois disparaissent en 1956 avec la fin de la troisième classe pour les grandes lignes et dans la même période pour les trains locaux remplacés par des autocars.

 

Pour les parisiens, il faudra attendre plus longtemps puisque la dernière rame de métro ainsi équipée ne disparaîtra qu'en 1991 avec la fin des deux classes.

 

Par contre, à Paris, charrettes et carrioles s'étaient faites rares tandis qu'elles feraient partie du paysage campagnard jusqu'à la fin des années soixante.

 

Des «voitures boisées» avaient été commercialisées en France sur la base de châssis d'avant-guerre (petits breaks 202 Peugeot et Simca 8).

 

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A Evrecy, le garagiste qui avait acheté le garage de mon grand-père maternel (accidentellement tué dans un accident de la route dans les années 30) avait remis en circulation une Renault juva 4 à moitié démolie par les bombardements qui avaient rasé le village en juin 1944 et toute la partie fourgon reconstituée en bois, si elle respectait les cotes du modèle sorti des chaînes n'avait qu'une vague ressemblance avec lui. Le statut d'ancien combattant de la 1ère guerre avait-elle valu au garagiste la mansuétude des gendarmes locaux ou lors d'un hypothétique passage aux Mines?

 

L'explication de cet usage massif inhabituel du bois tenait peut-être à la pénurie d'acier après-guerre (qui avait un temps contraint Panhard au recours à l'aluminium) mais cela n'expliquait pas la production en série limitée et rapidement interrompue définitivement des «voitures boisées» de Peugeot et de Simca, laquelle avait commencé avant-guerre.

 

En revanche, la construction de maisons en bois était de retour avec les «baraquements» de la reconstruction en Normandie et tout particulièrement à Evrecy. Certaines devaient être réalisées par des menuisiers locaux aidés de prisonniers allemands, d'autres provenaient de dons de pays scandinaves (les Suédoises, les Finlandaises) et étaient des constructions habituelles là-bas.

 

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La plupart de ces constructions ont évidemment disparu avec l'expansion du village mais certaines demeurent aujourd'hui. Il en est ainsi de la plupart de celles qui avaient été juchées dès la construction sur des sous-sols en pierre rue de Suède mais celles-ci n'ont pas l'aspect coquet et multicolore de l'habitat scandinave en bois régulièrement entretenu. En effet, pour éviter que leur décrépitude n'empire, elles sont été recouvertes dans les années 70 par des plaques de fibrociment (aujourd'hui badigeonnées de peintures claires après être restées longtemps grises à l'état brut).

 

Le bois n'était décidément pas en vogue durant les trente glorieuses … jusqu'au point de le masquer sous ce fibrociment truffé d'amiante mortifère.   "

 

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 Chronique publiée le 1 avril  2023

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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