Véhicules électriques
2023 A longue marche forcée
" En 2018, lorsque, après 16 ans d’usage, je troquais ma C5 HDI catégorie crit’air 4 pour une C3 Aircross essence catégorie 1, j’avais envisagé - et très rapidement abandonné - l’idée de «passer à l’électrique».
Dans une précédente chronique, je résumais ainsi mes raisons: «Éliminant l'option de traction électrique, pas justifiée économiquement pour un kilométrage peu élevé et trop contraignante (bornes de recharge en petit nombre et temps de recharge prohibitif)».
En fait, j’avais conservé le souvenir d’un retour de Naples en tractant la caravane quand je m’étais laissé surprendre dans une région de moyenne montagne quasi-désertique avec un réservoir de gas-oil proche de la cote d’alerte. Je ne tenais pas à renouveler cette expérience avec un réseau de bornes de recharge indigent et source d’arrêts à durée indéterminée mais notoirement plus longs que ceux requis la pompe à la main.
En préparant cette chronique 6 ans plus tard, je pensais trouver matière à porter un jugement moins expéditif du fait des progrès qui avaient dû être réalisés.
C’est tout le contraire qui se produisit en commençant par la lecture de deux ouvrages:
• L’arnaque de la voiture propre,
• Voiture électrique – Ils sont devenus fous!
Deux ouvrages dont les titres annoncent le parti pris mais un parti pris sur des bases particulièrement étayées la plupart du temps, singulièrement pour le second.
Il faut dire qu’après 2019 (là où nous étions parvenus dans l’étape précédente), un événement d’importance s’est produit qui a transformé une orientation en un choix contraignant:
• l’objectif 2035 a été officialisé par la Commission européenne en juillet 2021 dans le cadre de la proposition «Fit for 55» visant à réduire les émissions de gaz à effet de
serre de l'Union européenne de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990.
En décembre, la Commission européenne présente des propositions législatives concrètes qui incluent cet objectif;
• de février à juin 2022, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne examinent les propositions de la Commission européenne et adoptent leurs positions
respectives;
• de mars à juin 2023, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne finalisent les négociations sur les propositions législatives et les adoptent formellement.
Fit for 55 package, European Council, non daté, texte et illustrations
En comparant ces dates avec celles de l’étape précédente, on peut constater une nette accélération puisqu’il faut moins de deux ans pour passer de la proposition de la Commission Européenne à cette décision porteuse de conséquences considérables à proche échéance sur de nombreux plans.
Hélas, le retard pris et les erreurs commises dans les deux décennies qui ont précédé vont peser lourd dans l’acceptabilité de cette décision prise, on l’a vu précédemment, en situation de
faiblesse par rapport à la Chine et de dépendance par rapport à moult pays.
Une grosse décennie y suffira t’elle?
La stratégie publiée en 2010 mettait l’emphase à juste titre sur l’acceptabilité de ce changement: «Les consommateurs ont un rôle important à jouer en ce qui concerne la demande des véhicules verts. Pour stimuler cette dernière, les consommateurs doivent être informés des multiples possibilités, avantages et aspects pratiques de ce type de véhicules.»
En 2023, factuellement, je n’identifie guère qu’une dégradation de la praticité en France métropolitaine, laquelle praticité profondément abaissée par rapport aux
stations des voitures thermiques est actuellement le premier obstacle (devant les coûts d’investissement) au libre choix d’achat de voitures électriques :
1. le ratio bornes de recharges publiques/véhicules électriques en circulation ne cesse de se dégrader passant de l’ordre de 1/5 au début des années 2010 à 1/8 en 2023 (les estimations différent mais la tendance est identique et les prévisionnistes prévoient qu’il pourrait atteindre 1/10 en 2024);
2. des zones demeurent particulièrement mal loties (la Corse, le Massif Central, la presqu’île de la Hague …) mais aussi des
lieux de tourisme qui voient leurs populations exploser quelques semaines par an (et n’oublions pas qu’un «plein» ne prend que quelques minutes quand une recharge peut immobiliser une borne des
heures durant). L’indigence du réseau dans ces zones ouvre la voie à des différences de prix de recharge notables pour un même service;
3. en cas de panne de batterie dans ces zones déshéritées, il y a généralement un déficit de dépanneur itinérant équipé de
l’équipement adéquat (ce qui est cohérent avec la faible rentabilité d’une installation). Il faut alors faire appel à un remorquage par un garage plus ou moins éloigné. La seule alternative
consiste en l’achat d’une batterie de recharge lourde et encombrante;
4. ce risque de panne est d’autant plus élevé que la variation de consommation électrique est beaucoup plus forte que celle d’un
véhicule thermique dont l’ordinateur de bord déduit le kilométrage restant de celui parcouru. La variation qui peut aller du simple au double varie selon le mode de conduite, selon le conducteur
sur un long trajet, la vitesse, le trajet emprunté (autoroute ou montagne notamment), le climat extérieur … rend la prévision difficile;
5. la normalisation prévue dans la stratégie de 2010 («une interface de recharge normalisée permettant d’assurer l’interopérabilité et la connectivité entre les bornes électriques et les chargeurs du véhicule électrique») est restée lettre morte 14 ans plus tard. Il faut donc vérifier la compatibilité de la prise de branchement dont on dispose avec l’équipement de la station de recharge;
6. le paiement par carte bancaire n’ayant pas été rendu obligatoire par l’Europe communautaire, beaucoup de bornes ne sont accessibles actuellement qu’avec une carte d’abonnement au réseau dont dépendent ces bornes. Il y a en France une centaine de réseaux, certains locaux. Si la carte bancaire n’est pas acceptée, il faut autant s’en munir ou s’en éloigner;
7. les prix entre bornes peuvent varier dans un rapport allant jusqu’à 1 à 4 selon la puissance des
bornes et les bornes les plus rapides peuvent conduire à une facturation plus onéreuse que celle d’une voiture thermique équivalente;
8. certains critères peuvent également affecter le prix du kWh comme des heures de pointe ou le taux d’utilisation instantané de la station de bornes (ce qui rend
aléatoire toute prévision de dépense avant le départ). Ces prix sont généralement plus élevés dans les villes touristiques et les agglomérations.
9. certaines stations pratiquent une facturation à la durée de connexion. Dans ce cas, comme le temps de chargement dépend de la puissance du chargeur de la voiture,
le plein d’une Renault Zoé peut être plus onéreux que celui d’une Porsche par exemple;
10. et, enfin, pour sortir de France, j’ai consulté Gemini car il n’y a aucun recensement européen des réseaux existants: il y aurait actuellement de l’ordre de 2000 réseaux en Europe communautaire (dont un seul déjà bien implanté en France). La préparation d’un voyage à l’étranger doit inclure celle associée aux contraintes d’approvisionnement de la voiture.
P.S. Ma liste est peut-être incomplète car, comme je l’ai mentionné précédemment, je n’ai jamais utilisé de véhicule électrique. Peut-être aussi ai-je sous-estimé ou sur-estimé les inconvénients.. Les utilisateurs de véhicules électriques sont bienvenus à m’en faire part dans ce cas.
Face à cette kyrielle d’incommodités, la solution d’échange standard rapide de la batterie en voie d’extinction (cinq minutes tout au plus) apparaît infiniment plus accueillante. Cette solution – déjà pratiquée par le constructeur chinois Nio – doit être testée en 2024 par Stellantis en partenariat avec le constructeur américain de stations d’échanges Ample. Ce test mobilisera une flotte de Fiat 500 évoluant en location dans la capitale espagnole. Cette solution pourrait constituer un avantage déterminant pour les marques qui l’adopteraient…et drastiquement envieillir la génération actuelle des véhicules électriques.
Envieillir et dévaloriser … On en vient là au bilan économique du véhicule électrique pour le client.
Chacun sait qu’une voiture électrique coûte – du moins jusqu’à présent - plus cher à l’achat qu’une voiture thermique mais que les Etats s’efforcent d’amoindrir ce
surcoût par le biais d’aides financières (financées en France par le renchérissement des malus affectant les voitures thermiques).
Des arguments sont avancés comme le silence de fonctionnement et la puissance instantanée aux accélérations, arguments auxquels je
suis peu sensible mais qui sont irréfutables. Par contre, l’économie en fonctionnement doit être nuancée :
• à la recharge, par toutes les incertitudes quant au prix par kWh rechargé ainsi qu’on l’a détaillé précédemment,
• par une usure prématurée des pneus du fait du poids supplémentaire de la batterie et des effets du couple instantané des accélérations selon le
mode de conduite adopté.
En sus des seuls frais de fonctionnement, des accidents ne peuvent être exclus dans la vie d’une voiture. Or, les modules ou les cellules qui composent la batterie peuvent être endommagés même si l'extérieur de la batterie semble intact et il n'existe pas encore d'outils de mesure diagnostiquant l'état de celle-ci. Si l’accident – même mineur - est susceptible d’avoir endommagé la batterie (et par conséquent de la rendre potentiellement inflammable), il peut être indispensable de la remplacer. Dans ce cas, son coût élevé est susceptible d’atteindre celui de la valeur argus du véhicule peu de temps après l’achat et entraîner une couverture limitée à ce niveau par l’assurance. Je constate ainsi que la rentabilité de l’achat d’un véhicule électrique basée sur des coûts d’utilisation réduits prônée par les publicistes s’avère en réalité sujette à caution.
C’est peut-être pourquoi Hertz a pudiquement évoqué des frais de fonctionnement trop élevés pour justifier (avec le manque d’engouement d’une partie de ses clients) le retrait d’une partie de son parc de véhicules électriques.
Je constate ainsi que la rentabilité de l’achat d’un véhicule électrique basée sur des coûts d’utilisation réduits peut être sujette à caution.
Reste à considérer la valeur de revente pour compléter le bilan économique. A ce jour, en mai 2024, les rares analyses comparatives accordent une valeur résiduelle moindre à la motorisation électrique pour un même modèle. Il y a sans doute à cela plusieurs raisons:
• l’incertitude sur l’état de la batterie en l’absence de moyens objectifs de mesure,
• les progrès réalisés sur les modèles au fil des ans notamment en matière d’autonomie (kilométrage parcourable avec une batterie chargée),
• les prix de vente de certains véhicules neufs (tendance à la baisse),
• l’augmentation récente du prix réglementé en France de l’électricité (kWh de l’ordre de 0,18€ en 2020 qui atteint de l’ordre de 0,28€ en 2024) et une augmentation probable à
terme pour atteindre les 68% d’impôts prélevés actuellement à la pompe (contre de l’ordre de 38% pour le kWh),
• la relativité des avantages généralement avancés (tout ce qui précède dans cette chronique).
Au nombre de ces avantages, on trouve bien entendu ce qui est à la base de la décision européenne consistant à aller à marche forcée (l’objectif 2035) après une trop longue marche lente (cf.
l’étape précédente de cette chronique), à savoir la réduction des émissions de CO2 que les publicistes au service des constructeurs présentent comme un «zéro émission» de ces
véhicules. Ils omettent ainsi de considérer deux phases-clés de la vie du véhicule par rapport à cet objectif : sa production initiale et son recyclage ultérieur.
Or, selon l’ADEME, les émissions de CO2 pour la construction d’un véhicule électrique sont 50% plus élevées que celles nécessaires à son équivalent thermique. La traduction en kilométrage à
parcourir pour compenser cet écart (et commencer à économiser des émissions de CO2 sur le cycle de vie dudit véhicule) varient considérablement selon les analyses et le mode de production de
l’électricité. Ainsi, la durée est beaucoup plus longue en Pologne (utilisation du charbon pour produire l’électricité) qu’en Norvège (championne dans ce domaine). Pour autant, les kilométrages
s'expriment toujours en dizaines de milliers de kilomètres. La dernière estimation par le chercheur américain Jarod Kelly la situe à 70 000 kms - soit en France, avec un
kilométrage moyen annuel de 12 000 kms - à un usage de près de 6 ans par l’acheteur du véhicule neuf.
Quant au recyclage, il est difficile de se prononcer tant les choses sont encore en projet aussi bien en ce qui concerne les objectifs de taux de récupérations de «matières critiques» à atteindre (en 2030), que les modalités de financement (la récupération même partielle des matières coûte cher) et que les dispositions législatives encadrant cette activité (notamment pour éviter que la batterie d’une voiture arrivant dans une casse ne soit remise en l’état sur le marché du seul fait de son apparent bon état, augmentant ainsi la probabilité d’incendie). "
Rapport sur la seconde vie des batteries, ADEME-ATEE, 12 2022, texte (long) et illustrations
Ce sujet spécifique des feux de voitures électriques sera abordé dans la prochaine parution.
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien