Temps libre

2024 Liberté dévoyée

"       En 2024, le temps libre - dont les limites ont été précédemment précisées – quasiment inexistant au 19ème siècle et encore fort réduit au début de la période baby-boomer est devenu prédominant.
La question se pose alors de ce que l’on en fait à titre individuel et des conséquences que cela entraîne sur la transformation de la société.

Couverture du livre d'Olivier Babeau

La question se pose alors de ce que l’on en fait à titre individuel et des conséquences que cela entraîne sur la transformation de la société.
Dans son ouvrage récent «la tyrannie du divertissement», Olivier Babeau1 distingue trois façons d’utiliser son temps libre:
    1. le temps social ou aristocratique ainsi dénommé parce que les aristocrates, déchargés des tâches subalternes par leurs esclaves, utilisaient une part significative de leur temps libre aux relations et échanges entre eux,
    2. le temps pour soi consacré à un enrichissement personnel (lecture, apprentissage culturel, méditation …) comprenant la culture physique (le sport que l’on fait, pas celui que l’on regarde),
    3. le divertissement consacré à la distraction, aux jeux …, lequel devient tyrannique quand il devient envahissant.

 

La Tyrannie du divertissement – entretien avec Olivier Babeau, ESCE, 26 04 2023, 34 minutes

 

Cette typologie a le mérite d’isoler le pur divertissement non pour l’anathématiser en bloc mais pour le démarquer des autres activités requérant plus d’implication. Cependant, le classement est parfois difficile. Ainsi:

Homme "musculé" sur la plage

    1.  le temps social passé à entendre ou à ressasser des lieux communs (type «café du commerce») ne tient-il pas du divertissement dispensable?
    2.  le temps pour soi consacré à soigner sa musculation pour ensuite passer ses vacances à l’exposer sur la plage n’est-il pas assimilable à deux types de divertissements des plus futiles?
    3.  maintenir ses neurones en consacrant du temps à des jeux qui les mettent à contribution ou assister à des spectacles exigeants ne sont-elles pas des activités qui contribuent-ils pas au temps pour soi? 

 

J’ai retenu ici deux types de divertissements que l’on peut qualifier de nocifs:
    • nocif pour la société, le «tourisme de consommation» à outrance quand il remplace le tourisme de curiosité,
    • nocif pour les individus, l’abus des écrans quand ils se substituent aux activités de loisirs ou, pire, quand ils dégradent nos capacités intellectuelles et celles de nos descendants.

 

Venise, haut lieu du tourisme de masse
Venise, haut lieu du tourisme de masse

L’invasion des touristes

 

J’ai vu se transformer des lieux de tourisme en quelques décennies avec les cohortes de touristes, un tourisme que j’ai expérimenté lors d’un voyage organisé en Sicile.

 

Je peux en témoigner en caricaturant certes un peu, mais pas tant que cela  :
    • durant d’interminables repas, les touristes évoquaient les pays qu’ils avaient «faits» et leur degré de satisfaction en fonction du nombre de choses vues («faîtes elles aussi...») et de la qualité des hôtels et des restaurants,
    • le reste du temps la visite de musées au pas de course, les arrêts express de l’autocar pour prendre des photos des curiosités au passage et des marches à la queue leu leu dans les lieux «touristiqués» constituaient le menu de journées éreintantes au point que, à l’heure du coucher, on n’avait même plus la force de tenir un journal de voyage,
    • et même en parlant un peu l’italien, peu d’occasions de le pratiquer hors de la bulle du groupe.

Manifestants à Bayonne contre les expulsions "airbnb nous expulse"
Bayonne, cortège de manifestants expulsés

Olivier Babeau écrit: «Comment le tourisme de masse pourrait-il voir les autochtones puisqu’il les remplace».

 

En effet, à l’affluence croissante dans les lieux publics s’ajoutent de plus en plus les locations de courte durée pour renforcer  les capacités hôtelières … en chassant pour ce faire lesdits autochtones de leurs locations «à durée indéterminée».

Couverture d'un numéro de Radici

Le même constat était fait récemment à Venise par Asia Buconi dans la revue Radici1:
    • une moyenne quotidienne annuelle de 30 000 visiteurs pour une capacité d’accueil de 25 000 avec des pics de fréquentation à 200 000 (et ici, un aéroport que l’on agrandit ...),
    • une constante diminution des habitants durant les années écoulées,
Même constat aussi sur les sites italiens les plus fréquentés (Florence, les Cinque Terre, la côte Amalfitaine…).

Tourisme/invasion à Barcelone
Tourisme/invasion à Barcelone

 

Et cette transformation affecte d’autres villes d’Europe comme Barcelone et Londres ou les autochtones en viennent à s’en prendre aux touristes-envahisseurs.     

 

Et cela dénature parfois complètement des contrées que nous avons visitées il y a quelques dizaines d’années, ainsi du Monténégro découvert par nos propres moyens en voiture et camping en 1987.

Les bouches de Kotor que je découvre aujourd’hui sur internet n’ont plus rien à voir avec mon souvenir et avec les diapositives jaunies qui en attestent. Ria composée de plusieurs golfes donnant :sur l’Adriatique, le site est devenu la première destination touristique du Monténégro (érigé au rang de pays autonome après l’éclatement de la Yougoslavie) et à ce titre, sillonnée par des bateaux de croisières, ce alors qu’à l’été 1987:

Guide Bleu Yougoslavie
Guide Bleu Yougoslavie

    • le guide bleu de l’époque qui nous avait servi à préparer le voyage (les guides bleus proposaient aux visiteurs autonomes des trajets commentés) ne  consacrait qu’un nombre restreint de lignes aux Bouches de Kotor,
    • la petite route qui longeait le golfe à plus ou moins de distance était peu fréquentée et mal entretenue: des pierres tombées des montagnes étaient restées en place sur le parcours,
    • la ville de Kotor qui avait subi un tremblement de terre en 1979 était quasiment déserte et laissée en l’état. Un panneau avertissait les rares touristes des dangers inhérents à cette situation,
    • le camping ou nous faisions étape le soir était essentiellement occupé par des Yougoslaves sous tentes.

 

Diapositives de 1987 et copies d'écrans en 2024

Des découvertes archéologiques sous-marines avaient été faites. Il nous avait alors été dit qu’un musée serait créé pour les regrouper. 37 ans plus tard, ma demande au site de l’office du tourisme (en français) au sujet de cet hypothétique musée est restée sans réponse. Doit-on en déduire que le sur-tourisme des bateaux de croisières pourvoyeur de nombreux et lucratifs «touristes du selfie» leur suffit?


J’ai choisi cet exemple parce qu’il est le plus démonstratif de cet appauvrissement  de l’intérêt du voyage individuel mais, à des degrés divers, j’aurais pu en prendre d’autres tout aussi regrettables tant en France qu’à l’étranger.

 

L’invasion des écrans


Dans son ouvrage, Olivier Babeau propose une corrélation inquiétante:
    • de 1997 à 2018, la pratique des jeux vidéo des hommes de plus de 15 ans aurait plus que doublé (de 24 à 49%),
    • tandis que sur une période plus courte de 2008 à 2018, la pratique personnelle d’une activité (musique, peinture et plus généralement d’une activité artistique ou littéraire) serait passée de 50 à 39%.


Plus inquiétantes encore sont les conséquences d’un temps excessif passé devant les écrans:
    • sur le développement cognitif des jeunes enfants (langage, créativité, pensée critique);
    • sur les relations sociales des adolescents quand les «amis virtuels» phagocytent le temps qui pourrait être utilisé à des relations sociales réelles, allant même jusqu’à accaparer une part du sommeil nécessaire et à nuire à celui-ci (lumière bleue des écrans);
    • et quel que soit l’âge, les risques liés aux «mauvaises rencontres», à la propagation d’informations erronées et aux manipulations frauduleuses.

La cyberdépendance pourrait endommager le cerveau des ados, L’ADN, 11 06 2024, texte


Cela ne met évidemment pas en cause l’intérêt de disposer de la porte sur le monde que constitue l’accès à internet mais vise seulement à alerter sur les incidences insoupçonnées ou minimisées d’un temps libre mal utilisé.


Faudra t’il recréer un Ministère du temps libre pour retrouver de la retenue dans l’usage abusif des divertissements?     "

 

Chroniques en rapport avec celle que vous venez de consulter

 

Camping, cliquez ici

 

Espérance de vie, cliquez ici

Souvenir touristique, cliquez ici

 

Tourisme de masse, cliquez ici

 

 

 

Pour aller à l'écran d'accueil, cliquez ici

 

Chronique publiée le 1 août 2024

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien