Temps libre
" La notion de temps libre s’est particulièrement développée durant la «période baby-boomer» quand celui-ci a cessé de constituer le quasi-apanage d’une minorité de privilégiés. Le temps moyen de travail effectif de l’ordre de 45 à 48 heures pouvait encore atteindre légalement 50 heures et les dépasser tout aussi légalement par le truchement des heures supplémentaires dans les années 60. Les dispositions légales (40 heures depuis 1936, 39 heures puis 35 heures) ont abaissé aujourd’hui le temps de travail effectif autour de 39 heures.
Cet abaissement de la durée de travail hebdomadaire s’est accompagné:
- d’un allongement de la durée des congés payés de 2 semaines depuis 1936 à 3 en 1956, à 4 en 1968 et à 5 depuis 1982,
L’usage du temps libre, etourisme, 19 04 2024, texte et illustrations
- d’une prolongation de la durée de vie en bonne santé entraînant de fait un allongement de la durée d’un temps libre très conséquent à partir de 65 ans (échéance sujette à changements) accompagnée de plans de départs anticipés.
On notera que si cette durée passée en retraite augmente à partir de la fin de la guerre, il n’en va pas de même du montant des retraites : les pensions de retraites ne commencent réellement à s‘améliorer qu’à partir des années 70 avec la loi Robert Boulin qui indexe leurs niveaux sur les dix meilleures années.
La place prise par ce temps libre a provoqué la croissance du marché des loisirs (parcs de loisirs, agences de voyages, spectacles …) qui, au-delà des changements individuels ont eu une influence déterminante sur la société toute entière (les difficultés de logement pour les autochtones des sites «méritant le voyage» notamment), influence que j’évoquerai dans cette chronique.
Par contre, je ne traiterai pas ici du temps libre non désiré résultant du chômage, du temps partiel imposé et de la précarité en général. Cette situation qui s’est installée en France a succédé à trois décennies de quasi plein emploi et de contrats de travail très majoritairement à durée indéterminée (les «trente glorieuses»).
Les graphiques associés à ces transformations sont pertinents quant aux tendances mais les valeurs chiffrées sont souvent contradictoires entre elles selon les ouvrages de référence sur le sujet. On ne s’en étonnera pas en considérant les variables qui peuvent affecter la quantification et l’interprétation du temps libre.
De mes lectures, il ressort que le temps libre n’est évidemment pas le temps qui reste une fois que l’on s’est acquitté du temps de travail car, à ce temps résiduel-là il faut retrancher:
- bien entendu le temps de sommeil soumis à des variations interindividuelles importantes indépendamment même de la nature du travail effectué,
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le temps lié aux conséquences du travail après le travail que l’on peut globalement décomposer en:
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temps de reconstitution de la force de travail pour les métiers «physiques» (sommeil additionnel, repos, kinésithérapie …),
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temps induit par le travail intellectuel ou par les responsabilités qui poursuivent l’intéressé, un temps que Paul Yonnet dénomme temps de travail indirect. Cette forme d’intrusion peut être à l’origine de diverses variantes de fatigues (8 selon Martine Fournier) allant jusqu’au syndrome d’épuisement professionnel («burn out»),
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le temps consacré à toutes les contingences de la vie personnelle (hygiène notamment) et de la vie en collectivité (contingences administratives notamment),
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le temps de trajet pour se rendre au travail, temps qui peut être considérablement réduit pour certains emplois par le recours au télétravail. En outre, ce temps peut être décompté partiellement en temps de travail ou en temps libre en cas de recours à un transport collectif le permettant (les 2 heures quotidiennes de train pour les quelques 6000 Orléanais travaillant à Paris constituent une des illustrations de la difficulté de la catégorisation).
Dans la présente chronique, j’ai choisi de distinguer trois étapes:
- 1981 Liberté ministérielle : quand la gauche accède au pouvoir sur la base d’un programme comportant des avancées pour les travailleurs salariés. C’est alors qu’est créé un Ministère du temps libre ayant pour vocation annoncée d’offrir les moyens d’utiliser au mieux ledit temps libre;
- 1998 Liberté imposée : une étape dans laquelle je traiterai à la fois de la loi limitant à 35 heures le temps, loi imposée au patronat 17 ans plus tard, mais aussi de la loi Gilles de Robien sur la semaine de 4 jours, loi facilitant des accords volontaires ponctuels sur la base de négociations que la loi 35 heures remplace mais dont Pierre Larrouturou continue à promouvoir le principe;
- 2024 Liberté dévoyée : quand sur la durée d’une vie, on est parvenu -statistiquement s’entend bien entendu- à disposer de sensiblement plus de temps libre que de temps de travail (qui n’est pas toujours une pénitence …) et que le danger réside dans le gaspillage de ce temps à trop de divertissements abêtissants. "
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Pour l'écriture de cette chronique, j"ai consulté les ouvrages suivants :
Révolution culturelle du temps libre 1968-1988, Joffre Dumazedier, Méridiens 1988
Travail, loisir, Paul Yonnet, Gallimard 1999
8 variantes de fatigues, Martine Fournier, in Sciences Humaines n° 18925 2024
Pour la semaine de quatre jours, Pierre Larrouturou, La Découverte/Poche 1999
La tyrannie du divertissement, Olivier Babeau, Buchet-Chastel 2023
Turismo invivibile, Asia Buconi, in Radici n°129 2023
Guide bleu Yougoslavie, Hachette 1979
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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