Neige
1992 Glissements
" Dans le contexte d’une chronique consacrée à la neige, le mot glissement prend ses deux sens courants:
- action de glisser, en l’occurrence celle des skieurs sur une surface pentue que l’on a dégagée, damée et dotée de remontées mécaniques pour leur éviter tout effort,
-
passage progressif et continu d’un état à un autre et, dans ce cas, transition d’une situation de création quasi-frénétique de stations de ski à la prise en considération grandissante des incidences écologiques de ces installations.
Cette évolution s’est lentement opérée sur des décennies: j’ai choisi l’année 1992 qui marque le début du déploiement des zones Natura 2000 définies sur des bases communes européennes. Néanmoins, c’est l’ensemble de la «période baby-boomer» que j’embrasserai ici en observant l’évolution qui s’est opérée dans les Vosges à proximité de Gérardmer.
Ici comme ailleurs en France métropolitaine, priorité est donnée après-guerre au développement économique et le tourisme – notamment à la montagne- est encouragé sans guère être assorti de contraintes d’aménagement du territoire.
Les plans neige déployés par les gouvernements successifs de 1964 à 1977 privilégient la création d’emplois sur place et la modernisation des stations de ski.
Les plans neige : les retombées économiques, JT FR3 Rhône Alpes, 30 12 1977, 3 minutes
La prise de conscience environnementale commence à se développer dans les années 70. Elle se manifeste localement par des résistances aux atteintes aux paysages et modes de vie des originaires vosgiens (afflux de populations allochtones) ainsi qu’à la mercantilisation de la montagne. Les tribunaux administratifs sont mis à contribution pour régler les conflits et le dispositif législatif s’étoffe pour mieux encadrer les créations et extensions de domaines skiables.
La préservation de la biodiversité (faune et flore) se développe à partir des années 80 portée par des organisations nationales comme la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) et le Comité National de Protection de la Nature (CNPN) et elle trouve une concrétisation européenne en 1992 avec le programme Natura 2000 précédemment mentionné.
Un stade ultime de la protection est atteint avec les réserves biologiques intégrales (RBI) définies nationalement avec des modalités diverses pouvant aller jusqu’à des accès restreints au cas par cas.
Une illustration à mon sens très représentative de ce glissement nous est fournie dans les Vosges à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau à l’est de Gérardmer avec un chapelet de stations voisines les unes des autres créées dans la période «far west» («far east» serait ici plus approprié...).
Les lieux-dits Le Collet et Retournemer sont ainsi dotés de deux stations très proches (cinq cents mètres) et initialement créées séparément, la première par un particulier qui trace une piste
noire (pour skieurs expérimentés) dans la forêt. Cette petite station est composée d’un téléski et d’un point de restauration au bord de la route qui la dessert.
La station de Retournemer est créée par le propriétaire d’une société locale d’autocars qui l’équipe de deux téléskis de part et d’autre d’une large piste bleue (pour skieurs débutants donc
complémentaire de celle du Collet).
En 1968, un commerçant de Xonrupt rachète la station du Collet et s’associe avec le propriétaire du point de restauration, lequel s’empresse de faire construire un hôtel-restaurant. En 1970, un téléski est installé à côté de l’hôtel et deux nouvelles pistes sont ouvertes,une bleue et une rouge (niveau intermédiaire).
Dans le même temps, au lieu-dit Retournemer on déboise encore pour créer une piste et aménager un espace débutants dotés d’un petit téléski.
La concurrence semble avoir succédé à la complémentarité initiale des deux stations car dans les années 70 un deuxième téléski est installé derrière l’hôtel-restaurant du Collet pour desservir
une piste verte "Lapin Blanc" (zone d'apprentissage pour les tout-petits).
Dans le même temps, au lieu-dit Retournemer on déboise encore pour créer une piste et aménager un espace débutants dotés d’un petit téléski.
La concurrence semble avoir succédé à la complémentarité initiale des deux stations car dans les années 70 un deuxième téléski est installé derrière l’hôtel-restaurant du Collet pour desservir
une piste verte "Lapin Blanc" (zone d'apprentissage pour les tout-petits).
En 1983, le propriétaire du Collet rachète la station de Retournemer et engage à la fin des années 80 une optimisation des installations des deux sites initiaux pour n’en faire qu’une seule station dénommée Le Collet-Retournemer. Cependant, son ambition est plus grande car, exploitant déjà les sites voisins de la Bresse Hohneck et du Col de la Schlucht, il voudrait en faire un domaine unique en les reliant ensemble constituant ainsi l’espace skiable le plus étendu des Vosges.
La loi montagne de 1985 ayant inclus le concept d’Unité Touristique Nouvelle (UTN), l’entrepreneur constitue un dossier UTN qu’il soumet en 1994. Il se heurte alors à deux refus successifs du
Tribunal Administratif: la loi Montagne visait certes un développement du tourisme … mais un développement maîtrisé protégeant les espaces montagnards. Or, pour réaliser cette UTN-là, il faudrait
déboiser dix hectares dans une réserve biologique.
Le projet est abandonné et le secteur est classé Natura 2000 en 2003 puis réserve biologique intégrale en 2014.
Isolé, Le Collet-Retourmer attire d’autant moins de skieurs que l’enneigement devient de plus en plus aléatoire tandis que les stations voisines mais plus hautes du Col de la Schlucht et du
Honeck sont un peu mieux loties de ce point de vue.
La station s’éteint doucement: ouverture limitée aux week-ends et vacances scolaires si l’épaisseur de neige est suffisante quand le grand téléski de Retournemer fait l’objet d’une suspension
administrative (vraisemblablement du fait de règles de sécurité de plus en plus rigoureuses … et coûteuses).
Le Collet – Retournemer, Remontées mécaniques, non daté, texte et illustrations
Scénario assez classique d’une fin de station de moyenne montagne quand les frais courants de personnel et d’entretien ne sont plus couverts: la station disparaît du plan des pistes en 2017.
Sept ans s’écoulent encore avant que les vestiges rouillés des trois téléskis restants ne fassent l’objet d’une opération de démantèlement menée par l’association Domaines Skiables de France,
afin de remettre le site dans son état d’origine.
A un kilomètre en amont du Collet-Retournemer, la station du Col de la Schlucht située à trois kilomètres celle du Tanet. Entre ces deux stations pourtant proches, une troisième station, la Côte 1000 (son altitude), s’inséra un temps: ce sont ces trois stations qui complètent le chapelet des Vosges annoncé précédemment.
Située au cœur d’un massif abritant des espèces floristiques subalpines, la Côte 1000 résultait d’une saignée dans la forêt afin de créer une piste rouge longée par un téléski vers 1970.
L’histoire de la Côte 1000 est plus courte à écrire que celle du Collet-Retournemer mais son dénouement est identique: en 1992, elle est incluse dans le périmètre d’une réserve naturelle et abandonnée. Ses installations sont démontées cinq ans plus tard.
Côte 1000, stations fantômes, non daté, texte et illustrations
Une question se pose tout de même pour ses deux voisines, question à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse: pourquoi ces stations n’ont-elles pas été incluses dans ce périmètre? Moindre impact environnemental ou préservation de l’intérêt touristique?
Elles sont fin 2024 menacées par la diminution de l’enneigement:
• la station du Col de la Schlucht n’a ouvert ses deux pistes bleues que le 27 décembre faute d’une couche de neige suffisante auparavant,
• la station du Tanet, ouverte en moyenne une dizaine de jours par saison ces dernières années, demeure fermée en 2024-2025, faute d’avoir pu attirer un nouveau délégataire de
service public.
Ici comme dans d’autres stations des Vosges se pose la question du devenir de stations viables économiquement pour pratiquer la glisse… sans neige. "
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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