Baby-boomer
Iconique
2024 Enrichissement malencontreux
" En 2024, l’utilisation de iconique répond globalement aux mêmes objectifs que 14 ans plus tôt. Ce qui a changé, ce sont:
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la fréquence d’apparition croissante dans les médias ainsi que la courbe le montre et que chacun peut l’observer,
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l’inscription du mot iconique dans la catégorie grossissante de mots fourre-tout (disruptif, résilience, impact …),
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l’usage de ce mot par ceux qui devraient être les premiers garants d’un respect du choix des mots appropriés, je veux parler ici des journalistes et présentateurs des médias de grande diffusion,
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le recours de ces médias-là à la caisse de résonance que constituent les micro-trottoirs avec des interlocuteurs qui ne représentent qu’eux-mêmes et auxquels on donne l’occasion inespérée de «passer à la télé» (à cette loterie nationale, tout téléspectateur peut ainsi espérer avoir un jour sa chance, ce qui doit permettre de «faire de l’audience»),
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dans le même ordre d’idée l’apparition d’«influenceurs» incontrôlés (et d’autant mieux rémunérés par des marques qu’ils atteignent une forte audience) sur les réseaux sociaux qui influencent aussi par leur vocabulaire.
J’ai consulté quelques ouvrages à l’usage de ceux qui devraient donner l’exemple, à commencer par le récent et excellent livre à l’usage des journalistes de Michel Voirol
Plutôt que de le paraphraser, j’en extrais ici trois morceaux choisis auxquels j’adhère sans restriction:
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A l’heure ou les réseaux sociaux entretiennent la confusion entre une opinion lambda, un fait brut brut non vérifié, voire une fausse allégation, et une information validée et mise en perspective, jamais le traitement journalistique rigoureux de l’actualité n’aura été aussi indispensable,
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Prenez garde aux mots à la mode qui vous feront sans doute apparaître comme «branchés» auprès des jeunes mais risquent de vous couper d’une partie du public,
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Une règle d’or: ne jamais employer un mot que l’on ne comprend pas parfaitement soi-même.
Autres prescriptions dans des ouvrages moins récents:
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Le journalisme pour les nuls identifie quatre impératifs à respecter dont deux, la clarté et la précision, sont contrebattus par l’usage de iconique,
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Geneviève Fournier recommande quant à elle l’utilisation de «mots précis, concis et connus de tous»,
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Jacques Mouriquand renchérit enfin en exigeant du journaliste un «devoir de précision» et en ajoutant «tous les risques de polysémie doivent être évités».
En présence de cette unanimité de mes sources, je me demande si ces supposés grands professionnels de l’information ont des directeurs de rédaction susceptibles de les aider à se corriger de leurs tics de langage (les mots inappropriés ici évoqués mais aussi les formules creuses répétées à l’envi comme «on va tout vous dire»).
Pour démontrer modestement qu’il est aisé de mieux faire (plus clair, plus précis) en utilisant le vocabulaire français existant, j’ai consulté pendant quelques jours de septembre les publications qui «tombaient» (pour prendre le vocabulaire du journaliste que je ne suis pas).
Je commencerai par le plus beau spécimen relatant le succès de l’équipe de cécifoot aux jeux paralympiques ainsi titré dans le Télégramme de Brest: «Jeux paralympiques : au pied de la Tour Eiffel, les Bleus du cécifoot s’offrent un premier titre iconique.».
Outre que ce titre n’a pas la concision recommandée par les auteurs précédemment cités, l’utilisation de iconique est ici particulièrement inappropriée pour une discipline récemment reconnue aux jeux paralympiques et sans doute inconnue de la majorité des lecteurs. Mieux eût valu mettre l’emphase sur une valeureuse équipe ayant accompli un remarquable exploit.
A noter que les lecteurs allant tout de même au delà du titre seront sans doute déconcertés par la lecture du texte suivant «l’équipe de France de cécifoot s’est offert son premier titre paralympique, devant 11 000 personnes qui n’attendaient qu’à érupter depuis près de deux heures» (sic). Je rappellerai que seuls les volcans éruptent et que, s’il s’agit d’une «coquille», seuls les spectateurs très mécontents éructent.
Concernant les exemples suivants, je «ferai plus court» (comme on dit je crois entre journalistes) en m’en tenant à mentionner le mot plus clair, plus précis susceptible de se substituer à iconique (souvent un synonyme mais pas toujours compte tenu de l’envergure des dérives).
Ainsi pour la commémoration de la première édition du Petit Prince qualifié dans le texte de «personnage iconique aux cheveux d’or, mais aussi phénomène de l’édition mondiale», on pourrait s’en tenir à illustre personnage ...
Quant à la sortie dans l’espace d’astronautes civils, elle est simplement extraordinaire
Pour glorifier un film de 1996, inoubliable aurait fait l’affaire
Pour mettre en vedette la petite vache en bois (suisse), fameuse dans le sens «qui a une grande réputation, un grand renom» convient parfaitement (je précise que je n’ai pas d’avis sur ce renom proclamé)
La petite vache en bois, histoire d’un jouet suisse iconique, houseofswitzerland
Pour Nutella, bien connu suffit (remarquable si l’auteur se veut zélateur)
Pour Barbie, également bien connue, on pourra proposer inoubliable suffisamment neutre au sens «qu’il est impossible d’oublier, qui ne peut s’oublier»
Pour le Samsung Galaxy, célèbre est parfaitement justifié pour les lecteurs d’un magasine spécialisé
J’en viens enfin aux cas ou l’utilisation voulue valorisante du mot iconique me paraît contestable.
Concernant un jeu télévisé abandonné au siècle précédent, pour ne pas évoquer un vieux jeu et s’en tenir à la réalité, réanimé (animé de nouveau) me semblerait approprié
Concernant la marque bordelaise de vêtements pour femmes DDP qui refait surface après une longue fermeture, à la lecture du texte qui l’accompagne, iconique me semble exagéré et je proposerai a minima renaissante
Concernant la montre Omega «qu’on achète pour son look» dans le texte, on pourrait à la rigueur énoncer dans une optique publicitaire qu’elle est flatteuse ou méliorative («qui présente de manière avantageuse, valorisante») pour son porteur. J’ai dit ce que je pensais de cette coquetterie et de ceux qui l’arborent dans la chronique consacrée aux montres.
Autre utilisation surfaite d’un iconique qui se voudrait légendaire ou emblématique quand Renault revisite la R17. Je rappellerai que la R17 – comme la Renault 15 - était un coupé dérivé de la R12, berline milieu de gamme de forte diffusion en France dans les années 70 puis, longtemps encore après, sous marque Dacia en Roumanie et dans les pays de l’est: rien qui soit susceptible de faire rêver.
Pour s’en tenir à la cote en voiture de collection, la R17 aujourd’hui n’atteint pas des sommets. Iconique est par conséquent au choix immodeste, prétentieux ou présomptueux.
Renault revisite l'iconique R17 en concept-car, BFM Business, 09 2024, 40 secondes
En ce mois de septembre, Stellantis s’offre aussi une revisitation avec la SM. Le terme d’atypique pourrait convenir à cette Citroën (dont le sommet de gamme est alors acquis par une clientèle âgée) équipée d’une motorisation Maserati (marque italienne supportée par sa présence sur des circuits de compétition).
DS rend hommage à l’iconique Citroën SM, Journalauto, 11 09 2024, texte et illustration
Ici quatorze synonymes et substituts (et ma liste ne prétend pas à l’exhaustivité) qui démontrent que la langue française n’a en la circonstance nul besoin d’être «enrichie»... "
Chroniques en rapport avec celle que vous venez de consulter :
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Chronique publiée le 1 octobre 2024
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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