Cultes
1956 Blanches cornettes
" Sur le court trajet qui va de notre domicile au Jardin des Plantes, au 32 de la rue Geoffroy Saint-Hilaire, se tient le dispensaire des sœurs Rosalie. Sans doute existe-t'il déjà dans le corps de bâtiment un établissement scolaire d'enseignement religieux mais, alors, seul le dispensaire me concerne puisque mon école est la communale au 66 du boulevard Saint-Marcel.
En fait, ces sœurs ne se contentent pas de recevoir ici leurs patients: on les voit couramment déambuler à vive allure, presque caracoler, dans les rues alentour pour assister leurs malades à domicile (les religieux ont alors tous les âges, y compris ceux qui permettent de se mouvoir avec aisance). Il est impossible de ne pas les voir avec leurs mirobolantes cornettes blanches qui évoquent pour moi les oreilles de Mickey.
A cette étape de mon existence - et jusqu'à l'écriture de cette chronique, je dois le confesser - j'ignore l'origine de ces coiffes exubérantes et celle de la congrégation que ces coiffes révèlent.
L'apprendre nous permet de mieux comprendre le sens de leur engagement, la vitalité qu'elles y dédient et le lieu de leur apostolat.
Rosalie est le prénom d'adoption de Jeanne-Marie Rendu, sœur des filles de la charité de l'ordre de Saint Vincent de Paul. Née en 1786, elle exerce l'essentiel de son ministère jusqu'à son décès en 1856 comme supérieure de la maison de bienfaisance installée rue de l'épée de bois, rue qui joint perpendiculairement les rues Mouffetard et Monge, non loin d'ici.
Elle est contemporaine des émeutes de 1830 et de 1848 ainsi que des épidémies de choléra de 1832 et 1849 et fait preuve dans ces circonstances de bravoure et de dévouement. Le quartier Mouffetard, issu du bourg éponyme, est alors l'un des plus miséreux de la capitale. Les sœurs Rosalie concentrent leurs actions sur les plus déshérités en leur apportant des soins, de la nourriture et des vêtements.
En 1880, les sœurs Rosalie doivent quitter l'asile de la rue de l'épée de bois et c'est alors qu'elles emménagent rue Geoffroy Saint-Hilaire.
Extraits du livre Catholicisme, religieuses et socièté - Le temps des bonnes soeurs
Dans les années cinquante, le quartier Mouffetard n'est plus un siège de miséreux. Il y règne ce que l'on qualifie aujourd'hui de mixité sociale. Il est donc très différent de ce qu'il est devenu 60 ans plus tard. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter le prix des appartements: ainsi rue Mouffetard même, le tarif-plancher du m2 en 2018 atteint 9280€. Comme c'est un minimum, on peut escompter à ce tarif-là prendre possession d'un logement en rez-de chaussée donnant sur la cour obscure où sont entreposées les poubelles ...
C'est dans ce contexte des années cinquante que les sœurs Rosalie continuent à se démener, dans un quartier qui accueille encore des habitants modestes, des personnes nécessiteuses, des «économiquement faibles» selon cette formule qui n'a pas encore été atteinte par la vague d'euphémisation qui ne tardera pas à emporter les connotations dévalorisantes (sans pour autant changer la réalité des choses).
Ce mode d'exercice de leur sacerdoce est voisin de celui de Saint Vincent de Paul que je découvre dans le film «Monsieur Vincent» interprété en 1947 par Pierre Fresnay. Et contemporain de celui de l'abbé Pierre.
Les cornettes, aussi peu adaptées aux moyens de transport que les coiffes bretonnes, disparaîtront bientôt (en 1964 pour les premières semble t'il) et, alors que leur fin est proche, elles connaîtront leur heure de gloire dans des films à succès, Archimède le clochard en 1959 (un film qui se déroule en partie dans le 5ème arrondissement) et dans la série de pochades du gendarme de Saint-Tropez en 1964.
Version intégrale du film Archimède le clochard, 1959, 1 heure 20
Des religieuses sans plus de cornettes feront même une brève réapparition en 1995 dans une publicité d'IBM pour un système d'exploitation d'ordinateurs (le rapport?).
Dans l'établissement d'enseignement privé qui occupe aujourd'hui tout l'espace du dispensaire, il arrive que les enfants rendent hommage dans des scénettes à la sœur Rosalie mais, pour la circonstance, c'est l'institutrice qui se met en tenue de Rosalie.
Toutefois, l'institution semble conserver une actualité dans le monde ainsi qu'en témoignent des sites internet. "
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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