Accordéon
" L’annonce de la fermeture de la dernière usine française de fabrication d’accordéons a constitué l’élément déclencheur de cette chronique, laquelle a été ensuite enrichie par des échanges avec mon épouse.
Aucun de nous deux n’a jamais été amateur de l’accordéon et des bals musette mais notre enfance dans les années cinquante a été imprégnée de cette musique, et, ce, à un degré que je ne soupçonnais pas en engageant mes investigations pour composer cette chronique, j’y reviendrai.
L’origine peut en être attribuée à la radio, longtemps seul média parlant à domicile et média accordant une place de choix à cette musique populaire, Radio-Luxembourg en tête mais aussi Europe n°1 (qui se voulait pourtant plus rock n’roll) et Paris-Inter (qui se voulait moins grand public), lesquelles stations n’avaient pas banni la «boîte à soufflet» selon le synonyme créé par Philippe Krumm.
Cette présence intrusive d’alors contraste bigrement en 2024 avec la portion congrue accordée aux sons d’accordéon, qu’il soit joué en solo ou orchestral, sur les ondes radiophoniques et télévisuelles de grande diffusion.
Cependant, l’accordéon accompagnant des chanteurs n’a pas connu cette désaffection (du moins, celle des programmateurs, comment juger de celle des amateurs potentiels en l’absence du proscrit? ).
Ainsi de Bourvil dès 1946 à Benjamin Biolay en passant par Jacques Brel et Claude Nougaro, pour ne citer que quelques noms parmi les plus connus.
Et d’autres musiciens avaient retenu notre attention et suscité notre intérêt à partir des années soixante-dix:
- Astor Piazzola au bandonéon, accordéon en réduction aux intonations particulières pour le profane que je suis,
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Richard Galliano, un temps accompagnateur de - et compositeur pour - Claude Nougaro dont le nom nous était connu par les pochettes des enregistrements du chanteur-auteur.
Trois étapes s’imposaient donc:
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en 1954 Muse Yvette, musette, année marquée par le passage en Pays Basque - Béarn d’Yvette Horner jouant de l’accordéon juchée sur le toit d’une Traction Citroên 15cv lors du Tour de France et, au-delà, évocation de la dernière période faste du musette de l’après-guerre jusqu’au début des années soixante,
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en 1991 Eh bien! Écoutez maintenant, titre paraphrasant Jean de la Fontaine (La cigale et la fourmi), année marquant le passage de Yvette Horner au Casino de Paris en y étendant son registre sans pour autant renoncer au musette qui l’a révélée; et, au-delà, la période qui s’étend de la fin des années soixante au début du nouveau siècle,
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en 2024 Variété furtive, année paradoxale puisqu’elle voit à la fois d’une part la disparition de cette usine d’accordéons près de Tulle et d’autre part l’inauguration d’un musée de l’accordéon dans cette même ville, ce alors que depuis une vingtaine d’années l’accordéon sous toutes ses formes (hors celle du discret accompagnement de chanteurs) a quasiment disparu des média de grande écoute. Cependant dans ces deux mêmes décennies, l’accordéon a continué de rassembler des amateurs et de susciter des vocations précoces comme celle de Karène Neuville née en 2000... et susceptible de prétendre à la succession d’Yvette Horner disparue en 2018.
Mais avant de témoigner des trois-quarts de siècle qui viennent de s’écouler, quelques mots, comme à l’accoutumée, sur ce qui a précédé.
L’accordéon appartient à la famille des instruments de musique dits à anche libre. Une anche libre est une petite lame qui vibre en provoquant un son quand elle est activée par un souffle humain (un harmonica par exemple) ou par un soufflet préalablement rempli d’air.
Je citerai ici le premier instrument que j’ai vu en action à savoir l’harmonium portatif qu’apportait dans la classe de l’école communale l’institutrice chargée de notre éducation musicale.
Boîte en bois blanc surmontée d’un petit clavier, il était doté d’une pompe à main côté gauche, la main droite étant réservée à la mélodie.
Ce principe de fonctionnement est estimé daté de 1000 ans avant J.C. mais l’accordéon, invention d’un fabricant d’harmonicas viennois, n’apparaît qu’en 1829. C’est un accordéon diatonique qui ne joue que dans la gamme de do majeur sans dièses ni bémols. Il sera principalement utilisé pour les compositions régionales, auvergnates notamment et par le genre musette (cf. ci-après).
L’accordéon chromatique, plus perfectionné, fait son apparition en 1900. Produisant douze demi-tons par gamme, plus riche de nuances, il est principalement adapté aux compositions en orchestre et en solo. Ces deux types d’accordéons requièrent des apprentissages distincts.
Examinons maintenant le contexte.
Le tournant du vingtième siècle correspond à un exode rural vers les villes. A Paris, des auvergnats et des limousins, amateurs d’accordéon et de danse, ouvrent des commerces de vins-charbons dans le quartier de la Bastille, commerces dans lesquels ils aménagent des espaces – souvent dans l’arrière-boutique – pour inviter leurs payses et pays à y guincher … et à y consommer. A cette vague d’exode rural s’ajoute simultanément celles des vagues d’immigration d’autres amateurs d’accordéons, Italiens, Espagnols, Européens de l’Est, Sud-Américains qui s’installent dans les quartiers ouvriers de la capitale (il y en a encore beaucoup) … et se rendent dans ces bals-musette. La rencontre provoque parfois des rixes qui donnera au bal-musette la réputation sans doute exagérée d’être fréquenté par des «mauvais garçons».
«C’est un mauvais garçon» valse-musette chantée par Henri Garat, extrait du film «Un mauvais garçon», 1936, 1 minute 30
Félicien Brut, accordéoniste français contemporain, souligne en tant que musicien l’aspect positif de cette confrontation puisque «le style musette va naître d’un métissage sans précédent» en intégrant au fil du temps des musiques de danse:
- le paso-doble des Espagnols,
- la mazurka et la polka des Polonais,
- le cha-cha-cha et la rumba des Sud-Américains,
- le tango des Argentins,
- le fox-trot des Américains,
- ...
Visite de la cité de l'accordéon, Sud-Ouest La chaîne TV7, 13 09 2024, 25 minutes 40
Courte histoire du musette, site de Félicien Brut (accordéoniste), non daté, texte et illustrations
Dès l’avant-guerre, le musette parisien se diffuse en France par l’entremise de la radio, du disque, de la publicité pour l’accordéon et, durant les deux décennies de l’après-guerre, l’accordéon et le musette continuent, sur un mode qui ne change pas fondamentalement, à connaître le succès auprès des adultes.
Pour une majorité de baby-boomers en voie de devenir adultes, il en ira différemment … "
Pour écrire cette chronique, j'ai compulsé les ouvrages suivants :
L’accordéon. Quelle histoire! Philippe Krumm, Parigramme 2012
La valse musette et l’accordéon, Alphonse Boudard et Marcel Azzola, Editions Solar 1998
Histoires de l’accordéon, François Billard et Didier Roussin, Climats-I.N.A. 1991
J'ai en outre utilisé Gemini (IA) comme outil de recherche documentaire complémentaire.
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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