Tramway

1953 Tram fantôme

"  Enfant, je passe des vacances à Nacqueville sur la côte de La Hague à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Cherbourg.

 

Il subsiste ici des rails le long de la route principale. Je sais qu'il s'agit d'un tramway puisque dans Nacqueville, cette route devient la rue du tram.

Le tram fantôme sur ses rails à Nacqueville
Le tram fantôme sur ses rails à Nacqueville

 Cela suscite d'autant plus ma curiosité que je n'ai jamais vu de tram, que ce soit à Paris ou je vis ou dans les quelques villes de la Basse-Normandie proches des lieux des vacances avec mes parents. Quelle différence entre ce tram et le tacot emprunté dans l'Orne? Urville et Nacqueville, communes limitrophes qui seront regroupées en 1964, comptent alors moins de quatre cents habitants, une taille comparable aux villages desservis par le tacot Ornais que je connais.

Ma confusion est entretenue par ce que raconte mon père, originaire de l'est de Cherbourg mais qui a découvert le cap de la Hague en même temps que moi. Il évoque le petit train qu'il avait emprunté avant la guerre pour se rendre à Cherbourg. Il s'agissait d'un train à vapeur brinquebalant et crachotant qui, bien que ne dépassant pas 20km/h, déraillait souvent me dit-il.

 

En consultant en 2017 les références disponibles sur internet, je constate que, ces lignes ayant disparu depuis longtemps (le tacot de Cherbourg à Barfleur avait été le dernier à s'éclipser en 1950) et peu de leurs usagers subsistant aujourd'hui, cet embrouillement n'a pas été intégralement levé.

Un consensus se dégage néanmoins sur le fait que le tram fantôme de mon enfance était bien un tramway assurant à l'origine dès 1897 une liaison entre des communes périphériques de Cherbourg, Querqueville à huit kilomètres au nord-ouest et Tourlaville à cinq kilomètres à l'est, en desservant bien entendu plusieurs arrêts au sein-même de la sous-préfecture de la Manche.

En 1910, le réseau devient électrique sur cinq kilomètres et demi, soit la partie la plus fortement urbanisée, le reste de la desserte restant à traction vapeur (ce qui implique des changements de motrices dont je n'ai pas trouvé trace).

Carte du tramway de Cherbourg entre Urville et Querqueville

Une explication de la prolongation de la ligne de Querqueville à Urville en 1911 peut être avancée par la présence de Cherbourgeois assez aisés pour ériger des résidences secondaires de style néo-normand près de la plage de sable fin (mode des bains de mer naissante sous Napoléon III). Il pouvait y avoir parmi ces propriétaires des personnes suffisamment influentes pour obtenir une desserte pas vraiment rapide (45 minutes pour une dizaine de kilomètres) mais avec tout de même huit navettes quotidiennes et un service tardif le week-end pour assurer le retour à la sortie du théâtre.

Une autre raison plus plausible peut tenir à l'ouverture en 1914 d'un complexe hôtelier accueillant jusqu'à cent-cinquante pensionnaires, le village normand, puisqu'un arrêt était précisément situé devant le portail de cet établissement. L'implantation de ce «complexe» avait peut-être été conditionnée par cette desserte.

Le bus Cherbourg-Urville en 1945
Le bus Cherbourg-Urville en 1945

 

Ces raisons ne suffisaient toutefois pas à assurer l'équilibre financier de cette prolongation qui était remplacée dès 1936 par un service d'autobus. Le reste de la ligne subirait définitivement le même sort après les bombardements de 1944.

Pour desservir l'est de Cherbourg jusqu'à la pointe de Barfleur, on envisagea dans les années 1900 un prolongement du tramway à partir de Tourlaville.

Grand viaduc et petit tacot
Grand viaduc et petit tacot

Cette solution fut abandonnée au profit d'une autre passant au nord de Tourlaville et longeant la côte (peut-être au profit des pêcheurs). Cette option allongeait le trajet et imposait des travaux lourds, notamment la construction d'un viaduc en granit de 242 mètres à Fermanville et la percée de la falaise à Maupertus.

La falaise tranchée au Grand Castel de Maupertus
Maupertus

 Ces investissements lourds ne constituaient cependant pas une exception, de nombreux ouvrages d'art ayant été réalisés en France pour des lignes similaires dont la durée de vie allait être comptée.

Le tue-vâques longeant une côte désertique à Maupertus

Par ailleurs, le choix se porta sur un chemin de fer à voie normale sous la pression des militaires qui souhaitaient pouvoir le cas échéant assurer sans rupture et donc sans délai la connexion à Cherbourg en direction de Paris et depuis Barfleur par la ligne ouverte dès 1886 en direction de Valognes et de Montebourg.

 

Sans la pression des militaires, on aurait donc pu avoir un «tramway de Cherbourg» parcourant une trentaine de kilomètres dans une contrée principalement fréquentée par des vaches, d'où le surnom de tue-vâques attribué au tacot.

Dès 1937, la question de la fermeture de la ligne pour absence de justification économique fut posée par le Conseil Général de la Manche.

Bon nombre de trams et de tacots devaient disparaître dès les années trente pour la même raison.

 

Mon second souvenir de tram fantôme est localisé dans la ville-même de Cherbourg. Le trafic des tramways y a cessé neuf ans auparavant mais des rails subsistent sur les chaussées notamment près du port (envisageait-on une possible remise en service?).

Bicyclette Hirondelle de ma mère

 

Mes parents n'ont pas de voiture, seulement des vélos Hirondelle acquis à la Manufacture des armes et cycles de Saint-Étienne, vélos qu'ils acheminent en «bagages accompagnés» lors de nos voyages en train pour les grandes vacances.

Juché sur un siège pour enfant (une sorte de corbeille métallique dotée d'un coussin) installé sur le porte-bagages du vélo de mon père, je garde le souvenir du moment ou ma mère laisse malencontreusement une roue de son vélo se glisser dans l'espace ménagé le long du rail … et chuter sur ce quai de Cherbourg.

 

Souvenir vif encore de la présence du tram fantôme ...

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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