Tourisme de masse

1965 Colonies de vacanciers

"   En 1965, j'exerce ma première activité salariée dans une petite entreprise dont l'horaire hebdomadaire de base (et alors légal) atteint 50 heures, horaire souvent dépassé à la demande de l'employeur lorsque les commandes l'imposent.

 

Autant dire que le temps libre est compté tout au long de l'année et que les trois semaines de congés constituent un temps fort de l'année pour mes collègues dont peu dépassent la trentaine.

Une plage espagnole sous la surveillance de deux policiers en tenue

Pour un nombre substantiel d'entre eux, l'Espagne est le lieu de destination d'autant plus rêvé qu'il offre la possibilité de vacances qu'ils ne seraient pas en mesure de financer en France. Des conditions liées au faible coût de la main d’œuvre et aux dévaluations successives de la peseta. Pascal Cuvelier explique que les ressources tirées du tourisme permettent au régime de Franco de financer le développement économique et de redorer une image banalisée de l'Espagne, terre d'accueil des vacanciers étrangers.

La voiture acquise souvent au-dessus de leurs moyens permet d'atteindre la Costa Brava sans trop entamer la durée des stations sur le sable et de constituer sur place un attribut de séduction.

 

Cette vision de vacances teintées d'un exotisme factice est celle dont rend assez bien compte une chanson nunuche de Françoise Dorin sur une partition tintamarresque à castagnettes de Charles Aznavour, faribole qui narre l'histoire d'un estivant français tentant – mais en vain – d'enjôler une anglaise sur la Costa Brava (tourisme international oblige). Début de cette complainte énergiquement exécutée par le chœur des Compagnons de la Chanson en cette année 1965 : «Pardon à Cervantès et pardon à Lorca mais j'ai pris cet été du pudding et du thé sur la Costa Brava». La suite à l'avenant...

Les Compagnons de la Chanson entonnent La costa brava, 26 9 1966, 5 minutes 10

 

Un autre collègue, fils d'immigrés espagnols, me communique une toute autre image de ce pays de Cocagne pour certains Français : celle d'un pays économiquement faible, marqué par la dictature, un pays dans lequel, comme ailleurs à l'Est de l'Europe, la population, et plus spécifiquement sa famille restée sur place doit faire assaut de prudence dans ses actes et dans son expression si elle ne veut pas «avoir d'ennuis». En 1965, cette Espagne-là est plutôt celle évoquée par «Les belles étrangères», texte de Michelle Senlis, musique et interprétation de Jean Ferrat.

Jean Ferrat interprète Les belles étrangères, 1965, 2 minutes 50

 

Dans la recherche de lieux exotiques et bon marché, le Club Méditerranée avait été précurseur quinze ans auparavant en choisissant pour son coup d'essai le site de Port Alcudia aux Baléares,

Affiche du Club pour Alcudia

un site:

  • pas trop éloigné de la capitale,
  • présentant alors l'attrait de la nouveauté et un parfum d'aventure,

  • et, surtout, des «prix raisonnables» comme le proclame en gros caractères l'affiche publicitaire composée pour Gérard Blitz, créateur de ce club de vacances.

Port d'Alcudia en 2019
Port d'Alcudia en 2019

 

 

Et le club abandonnera les Baléares quand les prix y deviendront «moins raisonnables» et que le parfum d'aventure s'y sera émoussé.

 

 

Que ce soit au club avec l'installation de tentes fournies par Gilbert Trigano ou sur des côtes bétonnées sans ménagement, l'Espagne colonise en quelque sorte ses bords de mer au profit de vacanciers étrangers.

 

 

Pour retenir les Français dans nos frontières, le gouvernement du Général de Gaulle lance alors un vaste plan d'aménagement de la côte Languedoc-Roussillon, plan imposant l'assainissement d'étendues marécageuses et une copieuse démoustication. Contraint par un plan d'urbanisme, l'habitat y sera plus homogène, pas forcément plus tentant à mon goût comme lieu de résidence.

Les débuts de la Grande Motte, Grand Sud insolite,1963-1967, 4 minutes

Le cap d'Agde et son histoire, Herault tribune, texte

 

Ces réalisations, concomitantes à une amélioration de la situation économique en Espagne diminueront fortement l'engouement pour le littoral ibérique à partir des années 90.  "

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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