Théâtre

1963 La foule de Chaillot

" En ce mois de mai 1963, j’ai déjà assisté à quelques spectacles dans cette salle mais c’est la première fois que je vais voir Jean Vilar sur scène, acteur de la dernière pièce qu’il montera ici : Thomas More de Robert Bolt.

 

 

Comme à l’accoutumée, le début du spectacle est annoncé non par la tambourinade du brigadier  suivie de trois coups plus espacés et impérieux intimant au public le silence mais par le son des trompettes de Maurice Jarre, annonciatrices de notre entrée imminente dans un autre univers.

 

Pareillement aux autres spectacles qu’il m’a été donné de voir auparavant, le décorateur n’a pas voulu meubler l’immense plateau, se contentant, sur un fond de voiles noirs, du juste nécessaire à une mise en scène également sobre. Les acteurs utilisent tout l’espace, se trouvant ainsi éloignés à certains moments de plusieurs dizaines de mètres. La proximité entre eux est alors assurée par l’éclairagiste qui concentre sur eux des halos de lumière, les feux de la rampe qui séparent le public de la scène étant proscrits tout comme le rideau de scène pour la même raison .

Opuscules édités par le TNP dans les années 60
Le texte de la pièce sur du mauvais papier remplace avantageusement le programme des théâtres privés avec publicités pour les objets de luxe et photos du studio Harcourt

" Ainsi que l’écrit ironiquement Philippe Torreton  de Jean Vilar : « il poussait même le bouchon du populisme jusqu’à faire en sorte que les spectateurs comprennent les spectacles et ressortent avec une certaine idée de ce que voulait dire l’auteur ». 

Il avait su fédérer une troupe de qualité sans lui offrir ni les attributs du vedettariat ni  les cachets mirobolants que le « marché » était souvent en mesure de leur offrir. Ce fut particulièrement évident pour Gérard Philipe.

Tout cela suffirait déjà à en faire une personnalité marquante du théâtre de la seconde moitié du vingtième siècle. Cependant, ce qui, de mon point de vue, distingue plus encore Jean Vilar est sa volonté d’établir un lien particulier de proximité avec un public populaire.

Cette volonté s’exprimait sous de nombreuses formes novatrices: les cars de « ramassage théâtral » que je voyais stationnés devant le Palais de Chaillot pour faire venir les banlieusards au théâtre, les formules d’abonnements annuels, les liens noués avec les comités d’entreprises (et le refus d’avoir recours aux agences de spectacles), l’interdiction des pourboires, des rencontres entre comédiens et spectateurs, la création d’une revue de liaison (Bref), des tarifs sensiblement plus bas que dans les théâtres privés, l’ouverture à 18h30 et la possibilité de se restaurer sur place avant un  spectacle commençant à 20h pour permettre d’éviter de se coucher trop tard ….

Pas une once de démagogie cependant dans cette démarche : les spectateurs arrivés en retard sont priés d’attendre le moment opportun (un « noir » ou même la fin du premier acte). En guise de programme, le texte de la pièce dans un simple petit livret blanc. On aura les photos des scènes prises par Agnès Varda à condition de revenir plus tard. Rien à voir avec les programmes des théâtres privés vendus en sus du pourboire et ornés de portraits Harcourt des artistes …"

 


Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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