Service militaire

1967 J'ai fait mon temps

"Quand je prends le train fin Février 1966 pour rejoindre une base de l’OTAN ou sont stationnées des Forces Françaises en Allemagne (FFA), je sais qu’une hypothèque plane sur la suite de mon service militaire. Quelques jours auparavant en effet, le 21 février, le Président de Gaulle, lors d’une conférence de presse, a fait part de sa décision de reconsidérer les conditions de la participation de la France à l’OTAN.

Missiles sol-air de l'OTAN pointés vers l'est
Missiles sol-air de l'OTAN pointés vers l'est

Cela se traduira un peu plus tard, comme chacun sait aujourd’hui, par le retrait de la France du commandement intégré et par des mouvements de troupes importants, pour l’essentiel les Américains cantonnés en France abandonnant leurs positions et les Français revenant d’Allemagne en France.

 

Ce contexte me fournit l’opportunité de connaître successivement trois environnements militaires démontrant, du moins à cette époque, que si «la discipline est la force principale des armées», cette discipline n’implique pas une uniformité des hommes et des organisations:

  • Tout d’abord, au cœur du Bade-Wurtemberg, à une soixantaine de kilomètres du lac de Constance, à l’escadron d’engins de Mengen;
  • Ensuite, hiver 1967, un retour à la «base-mère» de Friedrichshafen dont je n’ai pas vu grand-chose durant les classes, trop occupé, cloîtré, à mes activités formatrices ;
  • Enfin, pour ma dernière saison sous les drapeaux, au Printemps 1967, mon retour en France dans une de ces nombreuses bases de l’Est du pays chargées de nous protéger contre celui qui n’est plus notre ennemi héréditaire."
Mengen et son camp d'aviation au fond
Mengen et son camp d'aviation au fond

...

"A l’issue des «classes», je suis affecté à Mengen. La contrée a connu les derniers moments de l’«Etat français»: à Mengen est enterré Jacques Doriot et Sigmaringen, lieu d’échouage de Pétain, Laval et consorts, est à seize kilomètres.

 

L’installation d’un escadron d’engins dans cette zone ne doit rien à ce passé récent. L’endroit est simplement propice à l’installation de missiles sol-air destinés à intercepter les intrus qui ne peuvent à cette époque venir que de l’Est.

 

Alors que je n’avais connu jusqu’à présent que des militaires ballots et courtelinesques, je vais être en contact ici avec des gradés beaucoup plus divers. Surtout, cette relation détestable de gardien de prison à présupposé délinquant va s’estomper, permettant des échanges avec certains."

L'insigne redoutable de l'escadron
L'insigne redoutable de l'escadron

... "L’entretien d'embauche avec le capitaine commandant l'escadron me vaut une affectation enviée: je vais remplacer un sergent-chef en partance dans le poste de documentaliste technique de l’escadron.

 

Cela me permet de partager un bureau individuel avec l’abondante documentation dans le bâtiment de l’état-major et (je m’en rends vite compte) de jouir d’une disponibilité assez fabuleuse. J’ai essentiellement deux choses à faire : remplacer au bon endroit les pages de mise à jour dans les classeurs à anneaux et sortir le bon classeur à la demande du lieutenant technique ou de ses sous-officiers. Il y a quelques mises à jour par semaine et guère plus de demandes ... à quoi donc mon prédécesseur pouvait-il bien occuper ses journées ?"

Camion militaire Dodge

"Malgré cet «emploi protégé», je ne ne suis pas exempté de corvées. Il en est que fais sans rechigner: par exemple, accompagner le chauffeur du camion bâché Dodge dans sa «navette» quotidienne avec Friedrichshafen (même si à chaque extrémité, il faut charger et décharger) satisfait mon intérêt pour les paysages."

Méchoui et pintes de bière pour tous devant le batiment de l'état-major
Méchoui et pintes de bière pour tous devant le batiment de l'état-major

... "Outre le cordial capitaine, il y a dans les bureaux de l’état-major, exclusivement masculin, des figures bien différentes : mon lieutenant, technicien discret et policé, un adjudant baroudeur au verbe haut ressassant sans fin dans le couloir ses récents exploits africains, un sergent-chef bedonnant plus porté sur les histoires grivoises et sur ses exploits privés dans ce domaine que sur les faits d’armes, un jeune sergent qui explique à des soldats peu convaincus, les intérêts de son engagement : la sécurité de l’emploi, le salaire, les conditions de travail pas épuisantes. Des arguments que partagent sans doute tous les autres sans le dire et qui font de ces militaires des fonctionnaires de l’armée, plutôt de bonne compagnie, sans grand relief."

Hangar à Zeppelin
Hangar à Zeppelin

... "Mais, les décisions du Général de Gaulle prenant effet, il faut bientôt abandonner Mengen pour un retour à la base mère de Friedrichshafen. Mes dons de grande polyvalence me valent de passer de documentaliste d’état-major à gardien de meubles dans un hangar à ballons dirigeables Zeppelin. Ma mission consiste ici à assurer le gardiennage du hangar la nuit en compagnie d’un autre appelé (ce qui m’évite opportunément les joies de la chambrée) et à charger et décharger les camions de déménagement le jour des wagons jusqu’aux hangars.

 

Les hangars à Zeppelin sont en bordure des pistes de la base et les bâtiments militaires loin de l’autre côté de ces pistes. Je fréquente donc peu le reste de la troupe, suffisamment toutefois pour me rendre compte des dégâts provoqués par l’alcool et par le tabac chez certains de «la classe». Il faut préciser qu’à cette époque, le soldat se voit mensuellement distribuer avec sa solde des cartouches dont les effets malfaisants sont à sa propre destination: les cartouches de cigarettes gauloises bleues, parmi les plus nocives qui soient.

L’alcool ne fait pas partie de la distribution mais la bière est bon marché au foyer."

Caserne base aérienne de Reims
Caserne base aérienne de Reims

"Ici comme à Reims qui est ma dernière étape au Printemps, lorsque l’essentiel du mobilier a été rapatrié, les canettes de bière procurent l’entrain qu’il faut pour beugler les gaietés de l’escadron et décompter les jours séparant de la quille.

Certains prétendaient alors : «le service, cela fait un homme». Mon constat est que cela en défaisait aussi.

 

A Reims, où ma réputation de polyvalence et d’adaptabilité a dû me précéder, je suis affecté au service de l’habillement.

Ici, le mouvement de troupes ne semble guère être à l’ordre du jour: les sous-officiers que je côtoie sont à l’évidence installés là depuis longtemps et s’en trouvent bien. Lorsque le 5 Juin, la guerre des six jours éclate, certains donnent le spectacle assez pitoyable de pleutres qui redoutent que la France ne s’engage, qu’ils ne soient contraints de quitter leurs paisibles occupations pour … faire ce pour quoi ils ont choisi le service du pays. Heureusement, six jours sont vite passés …"

... "Durant ces seize mois passés dans l’Armée de l’Air, j’ai percé des missiles modernes (qu‘on se rassure, au sens figuré de «découvrir complètement» dans la documentation) et j’ai vécu dans l’antre (désertée) des ballons dirigeables … mais je regrette un peu toutefois de rejoindre la «vie civile» et «mes foyers» sans avoir jamais franchi la porte d’un avion."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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