Richesse

2015 Quand la borne est franchie ...

Illustration issue de "La famille Fenouillard"

"Quand la borne est franchie, il n'y a plus de limites.

Cet aphorisme que Christophe attribue à un auteur célèbre (qu'il ne cite pas …) dans «La famille Fenouillard» s'applique parfaitement à la situation de l'ultra-richesse que nous connaissons aujourd'hui."

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"En ce début d'année 2015, durant le seul mois de février, les média font état d'affaires ou l'unité monétaire de base est le million d'euros (on l'a vu notamment dans l'introduction de cette chronique avec les enchères de la vieille Ferrari), voire de dizaines ou de centaines de millions d'euros:

  • au procès Bettencourt, une héritière a fait profiter son entourage de faveurs atteignant pour le plus gratifié d'entre eux des centaines de millions d'euros (sans qu’apparemment cela n'affecte en rien sa fortune et son train de vie);

  • la Cour d'Appel de Paris annule l'«arbitrage» qui avait entre autres choses, attribué à Bernard Tapie 45 millions de «préjudice moral» financés sur l'argent public (en 2008, François Bayrou faisait observer que cela représentait le montant des indemnités attribuées à 1000 victimes de l'amiante pour un préjudice funeste);

  • la filiale suisse de la banque HSBC sélectionnait ses clients avec un ticket d'entrée à un million d'euros et offrait à ce «dessus du panier» des services leur permettant d'échapper à leurs obligations fiscales (la bagatelle de 6 milliards d'euros dissimulés par des contribuables Français). Ces «gagnants-là» se retrouvaient ainsi dans la ragoûtante compagnie des mafieux et des malfrats venant blanchir leur argent sale;

  • Sanofi, entreprise pharmaceutique, accueille généreusement son nouveau dirigeant avec un cadeau de bienvenue de 4 millions d'euros, outre bien entendu sa rémunération annuelle à venir de plus de 1 million d'euros. On connaissait déjà les parachutes dorés pour les dirigeants dont on se séparait parce qu'il avaient démérité. Désormais, avant d'avoir rien fait, on touche un pactole (en l’occurrence financé en bonne part par les recettes issues de l'assurance-maladie);

  • Carlos Gohn, responsable d'un consortium automobile, s'exprime sur les négociations salariales qui s'engagent chez Renault et réclame «du bon sens et de la modération de tous côtés». En octobre dernier, interrogé par le journaliste François Lemblet sur ce qui lui valait des émoluments annuels (10 millions d'euros) vingt fois supérieurs à son collègue Jacques Calvet (lesquels avaient été dénoncés comme exorbitants en 1989 en page de couverture du Canard enchaîné) répondait sans barguigner: «les talents deviennent beaucoup plus pointus».

 

Impudence: «Attitude d'une personne qui agit volontairement d'une manière jugée offensante, effrontée, ou contraire à la bienséance. Synonymes: culot, toupet (familier).»

Graphique INSEE montrant l'évolution des hauts revenus (versus les autres) de 2004 à 2011

Sans doute faut-il rapprocher cette cocasse attitude de l'explication fournie par Thierry Pech dans son ouvrage «Le temps des riches»: «Tandis que les gens ordinaires se comparent à leurs voisins, à leurs collègues ou à leurs proches, les dirigeants des grandes entreprises se comparent à leurs homologues britanniques, allemands ou américains et ils jugent le coût du travail de leurs employés à l'aune du coût du travail de l'employé chinois».


Graphique OXFAM montrant l'évolution de la distribution des richesses

En janvier, à la veille de l'ouverture du forum économique, l'OXFAM publiait un rapport selon lequel, du train ou vont les choses, dès 2016, 1% de la population mondiale disposerait d'une richesse plus importante que les 99% restants. Cette étude a fait l'objet de critiques méthodologiques. Néanmoins, d'autres sources, comme celle de l'INSEE pour la France, confirment cette tendance à l'envol des revenus d'une infime minorité, situation d'autant plus violente que la masse des autres, des collaborateurs les moins qualifiés aux cadres les plus compétents, sont rappelés au «bon sens et à la modération».

On s'interroge sur l'usage que ces «gagnants» peuvent bien faire de montagnes d'or qui dépassent l'entendement. Certains en remettent une partie dans le domaine public en finançant des «bonnes œuvres» ou en créant des musées (dans la continuité de Jean-Paul Getty durant les années cinquante).

Certains gaspillent en futilités ce qui, à leur échelle, ne doit guère compter plus que de la petite monnaie. Ainsi de ce milliardaire Pakistanais consacrant 380 000 euros en une seule soirée en bouteilles de champagnes millésimées et affichant fièrement la note sur son site internet afin sans doute de faire saliver les «perdants».

Yacht à 3775 milliards d'euros

D'autres enfin (les mêmes?) ne se contentent pas de menus achats comme des montres (la plus chère à 40 millions d'euros) mais s'offrent des biens affichant un luxe tapageur comme des yachts. Le plus cher, emporte 100 tonnes d'or et de platine d'équipements et atteint la modique somme de 3 milliards 700 millions d'euros . Celui-là appartiendrait à un Indonésien, un pays ou le revenu moyen par an et par habitant n'atteignait pas 3000 euros en 2012.

Indécence: «Acte, parole, chose contraire à la décence, à la bienséance ou à la morale. Caractère de ce qui choque par sa démesure insolente».

Les écarts de fortunes aussi abyssaux sont-ils compatibles avec la cohésion d'une société dans laquelle le mérite de chacun serait reconnu à sa juste valeur?

Une richesse en millions d'euros constitue t'elle la contrepartie inévitable à attribuer à ceux qui sont juchés sur des talents pointus?

Doit-on soustraire une part de la richesse de l'entreprise pour bénéficier de cadors dotés de capacités supposées inouïes (qui s'avèrent en outre assez souvent illusoires comme le montre encore le récent rapport de la Cour des Comptes) ?

Un artiste renommé doit-il empocher des cachets faramineux plutôt que de permettre à son «cher public» un accès moins onéreux à ses œuvres?


On pourrait aussi s'interroger sur la valeur de contre-exemple que constitue l'accumulation d'«argent facile» par un pourcentage infime de la population mondiale et sur la réalité du concept d'égalité dans une société qui s’accommode de telles extravagances.


Des hommes très estimables ayant mis sur pied dans les années cinquante les entreprises les plus novatrices qui soient, l'un dans le domaine du recyclage, l'abbé Pierre, l'autre dans celui du théâtre, Jean Vilar, n'en exigeaient pas tant ..."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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