Organisation OST

1967 Scientifique ?

Chaîne montage R16 à Sandouville 1965

 "L'organisation du travail peut-elle être qualifiée de scientifique?

 

On doit d'abord noter, comme le fait Michel Pouget dans son que sais-je intitulé «Taylor et le taylorisme» qu'il s'agit d'une mauvaise traduction de ce que Frédérick Winslow Taylor, à l'origine de l'OST, avait dénommé «scientific management», le terme de management couvrant un champ plus large, l'application au travail restreignant encore implicitement ce champ en le concentrant sur le travail manuel.

 

Taylor, ingénieur de formation, pouvait se targuer d'une approche scientifique, pour le moins technique, du fait qu'il entendait améliorer l'efficacité des modes opératoires en agissant aussi bien sur les personnes que sur les machines et les outils. Il fut ainsi l'auteur d'un ouvrage consacré aux conditions optimales d’affûtage.

 

Sa démarche d'analyse approfondie et de décomposition des opérations s'apparente également à une approche scientifique, à tout le moins méthodique et rigoureuse. Néanmoins, elle se concentre sur un objectif d'efficacité maximale («one best way») avec une obligation de répétitivité qui ne peut être remise en cause par l'exécutant. Ce faisant, elle ignore les composantes mentales de tout travail et ne saurait tirer parti de l'initiative de l'exécutant confronté à un aléa de fonctionnement, d'approvisionnement ou à un changement d'environnement.

 

Elle peut s'accompagner d'un chronométrage fixant des temps d'exécution assortis de sanctions positives ou négatives. Et là, malgré l'apparence objective et flatteuse de formules plus ou moins sophistiquées, aucune dimension scientifique ne peut être retenue. Elles résultent simplement d'un choix de performance, lequel est fonction d'un rapport de force entre l'employeur et les «travailleurs». Que ce rapport soit modifié et la formule l'est également.

 

Ford T
Ford T

 

Les établissements parisiens de l'entreprise dans laquelle je travaille ne sont alors pas concernés par ces aspects de l'OST (temps imposés et salaire au rendement) mais, à l'évidence, ces derniers demeurent très actuels dans l'industrie ainsi qu'en témoigne la place qui leur est dévolue dans les enseignements dirigés par Raymond Boisdé, titulaire de la chaire.

Il n'y a guère de doute sur le fait que l'usine Citroën de Levallois-Perret applique des préceptes de l'OST et fabrique ses voitures sur des chaînes. Le mode de travail à la chaîne ne fait pas partie du corpus de Taylor (1856-1915) mais sa mise en œuvre par Henry Ford (la Ford T) à partir de 1913 est facilitée par la décomposition fine des tâches. André Citroën, comme les autres constructeurs, s'en inspire bien avant la deuxième guerre mondiale notamment pour sa «Traction» … et la 2CV apparaît en 1948.

Des films conservés sur le site de l'INA attestent que ce mode de fabrication est en vigueur chez les autres constructeurs Français dont Peugeot (à Sochaux, la 403 en 1958) et Renault (la R16 à Sandouville en 1965 et la R14 à Douai en 1976).

Charlie Chaplin dans "les temps modernes"

Que cette préoccupation d'efficacité immédiate à tout prix puisse faire l'objet de critiques et que sa dimension réputée «scientifique» ait pu servir de paravent à des dérives ne sont pas niables. Il convient toutefois de tempérer la vision génialement décapante qu'en donne Charlie Chaplin dans «Les temps modernes»:

  •  l'OST a donné le pouvoir à des spécialistes, agents de méthodes et ingénieurs en organisation. Auparavant, ce pouvoir était exercé par des contremaîtres dont les capacités pouvaient fort bien se limiter à une forme d'autoritarisme sans contrôle;
  • l'application de l'OST et de ce que l'on a appelé le Fordisme en offrant des progrès de productivité considérables a permis de fabriquer des voitures et, plus généralement, des produits plus abordables. Du reste, le maintien d'une forme de travail à l'ancienne aurait condamné à court terme les entreprises qui se seraient obstinées à lui conserver leur préférence;

  • l'OST, telle qu'enseignée en 1967, comprenait les techniques et méthodes permettant de décortiquer des processus, de les simplifier, de supprimer des sources de défauts et, in fine dans bien des cas, d'améliorer à la fois l'efficacité et les conditions de travail. Il s'agissait selon Jean Fourastié, également enseignant au CNAM, de traquer l'inutile, les possibles économies d'échelle et les sources de «retravaillage», signes et sources de non-qualité (que sais-je «la productivité») J'aurai l'occasion de les mettre en pratique de 1970 à 1973 dans deux entreprises différentes et, au-delà, j'y aurai recours avec profit pour la conduite de projets.

 

En 1967, Raymond Boisdé, qui était aussi député-maire de Bourges et qui avait été brièvement ministre avant de se voir confier la chaire d'OST, faisait paraître un ouvrage intitulé «Mirages du Tiers Monde» dans lequel il prônait l'application de ce corpus aux pays pauvres d'alors : «… produire de la nourriture, de l'énergie, des biens de consommation, de la «richesse vive». Tout cela qui, en fin de compte, caractérise la civilisation et a engendré ses progrès s'appelle l'ORGANISATION DU TRAVAIL.».

 

Les caractères majuscules sont de l'auteur. On notera que l'absence du qualificatif «scientifique» n'est sans doute pas fortuite. La chaire d'OST, qui avait été créée en 1929 et qu'il occupait depuis 1954, devait à son départ, trois ans plus tard, devenir chaire d'organisation du travail et de l'entreprise."

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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