Baby-boomer
Euphémisme
1983 Enjoliveurs sémantiques
"Au début des années quatre-vingt, la période des Trente Glorieuses étant bien révolue, la situation économique se dégradant et le chômage de masse s’installant, on jugera salvateur de supprimer les clochards pour les élever à la dignité de « sans domicile fixe», selon l’appellation officielle qui leur était appliquée par les fonctionnaires en charge du maintien de l’ordre.
Selon mes souvenirs d’enfance en la matière, le titre était parfaitement usurpé. Les clochards trouvaient hier un refuge sédentaire sous le pont d’Austerlitz (quand les quais de la Seine n’avaient pas été transformés en circuits automobiles) ou dans des lieux délaissés par les citoyens ayant pignon sur rue comme des porches d’ateliers désaffectés du treizième arrondissement (avant que des immeubles de standing ne les remplacent).
Ceux que l’on voyait maintenant semblaient plus attachés à trouver un abri aussi potable que possible qu’à se livrer à une vie d’errance aventureuse en prenant modèle sur Phileas Fogg."
"Le chômage augmentait inexorablement mais, paradoxe suprême, il n’y avait plus de chômeurs, seulement des « demandeurs d’emploi », voire, pour les plus entreprenants d’entre eux, des « personnes à la recherche d’un emploi ».
Les contrats de travail à durée déterminée se développaient sans que la précarité ne gangrène la société et les travailleurs se voyaient attribuer des titres flatteurs. Le balayeur était propulsé technicien de surface sans même attendre qu’une filière de formation aux techniques de ladite surface ne soit mise sur pied. La caissière de supermarché était qualifiée d’hôtesse d’accueil bien qu’elle n’ait l’occasion de recevoir – et très furtivement - ses hôtes qu’au moment où, emplettes terminées, ils s’apprêtaient à quitter les lieux.
Les patrons eux-mêmes s’auto-qualifiaient d’entrepreneurs, alors que, si tous pouvaient prétendre au grade de patrons, certains n’étaient guère entrepreneurs. Ainsi, le 27 octobre 1988, le Conseil National du Patronat Français devenait le Mouvement (notoirement plus dynamique, le mouvement …) des Entrepreneurs Français."
"Les atteintes de la vie faisaient aussi l’objet d’attentions toutes particulières.
En 1968, Pierre Perret pouvait encore utiliser une analogie qui parlait à tous et ne choquait les oreilles de personne dans sa chanson « cuisse de mouche » en qualifiant la taille de son héroïne de « plus mince que la retraite des vieux »."
"Les vieux, les « p’tits vieux », avaient disparu, transfigurés en seniors, en aînés, en membres de la confrérie du troisième âge (avant que l’on ne s’avise de créer une confrérie du quatrième âge pour ceux qui vraiment …). "
...
"La même vague gratifiante atteignait les délinquants. On les appelait encore ainsi dans les années soixante. Les journalistes, bien peu amènes, les qualifiaient même de voyous et, quand ils étaient jeunes, de jeunes voyous, qu’il convenait de mâter. Certains poussaient même l’outrecuidance jusqu’à prononcer le mot de vermine.
On peinait désormais à trouver des délinquants. Ils étaient devenus des « jeunes » et, pour les plus nuancés des journalistes, des « jeunes de banlieue », indulgenciés en quelque sorte par la grâce des « quartiers sensibles » dans lesquels ils opéraient leurs délits, lesquels avaient été rabaissés dans le même temps au rang de bénignes « incivilités »."
"Au vingt et unième siècle, ces généreuses lénifications gagnaient tous les fronts. Même nos ennemis pouvaient se réjouir de nos frappes chirurgicales, chargées d’anéantir leurs tumeurs malignes en limitant au plus juste les effets collatéraux. Notre action prophylactique avait également eu raison des génocides, désormais transmutés en quelconques nettoyages ethniques.
Un monde merveilleux, virtuel, se créait ainsi par la magie du verbe, un monde qui avait désormais sa langue que l’on disait de bois."
Dans l'abécédaire, sont également évoquées les friandises verbales distribuées aux ouvriers sans qualification (mais qualifiés ... de spécialisés) et aux personnes atteintes de handicaps.
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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