Espérance de vie

1970 Désespérance des vieux

"En 1970, Simone de Beauvoir publie «La vieillesse». La première phrase de l'ouvrage expose la situation des «vieilles gens» comme l'on dit alors pour qualifier tous ceux qui sont retirés de la vie active: «Tout le monde le sait: la condition des vieilles gens est aujourd'hui scandaleuse».

Vieux en 1962
Vieux en 1962

Le scandale tient à la fois à la situation économique lamentable d'une grande partie des retraités et à l'attitude des «actifs» par rapport aux vieillards (deux appellations également couramment utilisées). Simone de Beauvoir écrit: «Le vieillard – sauf exceptions – ne fait plus rien. Et c'est pourquoi il apparaît aux individus actifs comme une «espèce étrangère» dans laquelle ils ne se reconnaissent pas».

Concernant le niveau de vie des retraités, Pierre Perret en 1968, dans une de ses chansons utilise la «retraite des vieux» (la formule-même est révélatrice de l'ostracisme ambiant) comme un étalon de la minceur. Évoquant la maigreur de sa frêle héroïne «cuisse de mouche»: «plus mince que la retraite des vieux».

Un reportage consacré aux conditions de vie des personnes âgées (que l'on n'appelle pas encore ainsi) diffusé en 1962 confirme cette indigence. On y évoque des «personnes nécessiteuses» devant compter sur l'aide d'un «voisin charitable», de leurs enfants, de la commune … et qui témoignent de leur préoccupation obsédante de la nourriture et du charbon (moyen de chauffage alors dominant).

Simone de Beauvoir avance l'explication suivante: «Au lendemain de la guerre, on a fait un effort pour relever la natalité et une grande partie du budget a été consacrée aux prestations familiales; la vieillesse a été sacrifiée».

Sans doute le baby-boom a t'il été encouragé par des prestations généreuses au détriment des personnes nées bien avant la fin du 19 ème siècle mais il me semble que ce n'est pas l'unique raison. De 1950 à 1970, la situation des actifs s'est bien améliorée:

  • la durée des congés payés a doublé, passant de 2 semaines à 3 en 1956 et à 4 en 1969,
  • le pouvoir d'achat moyen a tout pareillement doublé.

Les baby-boomers sont devenus des adultes et la situation des personnes âgées, celle que déplore à juste titre Simone de Beauvoir, est restée identique.

Le seul changement tient à l'élévation de l'espérance de vie mais on ne peut décemment pas parler de progrès quand il s'agit de tomber dans l'indigence et d'y rester plus longtemps qu'auparavant.

 

Au sortir de la guerre, l'espérance de vie moyenne n'était pas loin de se confondre avec l'âge de la retraite (en pratique 65 ans). En 1950, un tiers des travailleurs n'atteignaient encore pas cette échéance.

Le «parcours de santé» commençait dès la naissance: en 1945 en France, un nouveau-né sur dix mourrait avant son premier anniversaire (3,7 sur 1000 en 2009). Les maladies infantiles étaient nombreuses. Je ne me souviens pas de celles qui m'ont affecté mais les termes de varicelle, de rougeole, de scarlatine, de coqueluche résonnent encore à mes oreilles (ah oui, j'allais oublier les oreillons).

L'hygiène constituait une forte préoccupation (sans doute parce qu'elle était perfectible): à l'école communale, les bons points que l'on nous distribuait (de la taille d'une carte à jouer, en mauvais carton grisâtre) nous rappelaient de nous laver les mains, les cheveux, les dents. Les maîtres nous imposaient d'écouler des carnets de timbres pour supporter les progrès contre la tuberculose (mes parents achetaient le carnet entier pour m'éviter le porte-à-porte).

La tuberculose avait pour moi, enfant, un sens bien réel. Une de mes tantes était rescapée d'un mal de Pott (tuberculose osseuse) qui l'avait tenue alitée puis convalescente en sanatorium des années durant.

L'autre grand fléau était la poliomyélite et c'était aussi une réalité très  tangible : il y avait presque en face de notre immeuble un centre qui leur était destiné (administratif? médical? ) et je voyais donc couramment ces malheureux, pantins désarticulés.

A ces conditions sanitaires s'ajoutaient les privations des années quarante, des conditions de travail souvent dures (dans l'industrie comme dans l'agriculture) et des conditions de logement imparfaites pour beaucoup, lesquelles sans doute ne concouraient pas à la longévité de l'existence.

Dans ce contexte caractérisé par une amélioration très sensible du niveau de vie des «actifs» et par la perpétuation de conditions de santé difficiles, il semble se dégager une attitude dominante d'aveuglement volontaire face à la vieillesse et de volonté de profiter d'abord du moment présent.

Un autre reportage réalisé également en 1962 pour le magazine télévisé «5 colonnes à la une» sur «les vieux qui essaient de ne pas mourir de faim» se termine sur l'interview d'un «non-vieux»: «J'aime mieux pas y penser, si ça se trouve j'arriverai pas à 65 ans»."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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