Emploi

2005 A vos risques et périls

Evolution du taux de chômage de 1967 à 2005
Evolution du taux de chômage de 1967 à 2005 (INSEE)

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"Au plan national, à partir de 1973, la situation de l’emploi s’est fortement dégradée, oscillant comme chacun sait, année après année autour d’un point médian de 10% de chômeurs. Rien n’y a fait, ni les emplois aidés, ni les stages en emploi précaire ou en formation, ni le développement du travail instable à durée déterminée ou à temps partiel, ni les retraites largement anticipées, ni les « diminutions compétitives » des salaires, ni même les « radiations administratives » de chômeurs n’ont permis de revenir à la situation qui avait prévalu durant trois décennies.

Le 14 juillet 1993, le Président de la République François Mitterrand est allé jusqu’à confier son impuissance : « en matière de chômage, on a tout essayé … ».

Jusqu’à présent cependant, aucun responsable n’avait eu le culot de s’accommoder de cette précarité grandissante, ni a fortiori d’en vanter les vertus.

C’est chose faite par la Présidente du Medef quelques semaines après sa première nomination le 30 août 2005. Elle affirme comme une évidence durant une « université d’été » plaisamment intitulée « ré-enchantons le monde » : « La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail ne le serait-il pas ? ».

Soupe populaire à Paris en 1930
Soupe populaire à Paris en 1930 - "La vie, la santé, l'amour sont précaires ...."

 

 

Toute question mérite réponse et celle-ci en appelle plusieurs.

L’acte juridique suprême du pays s’appelle la Constitution. On la définit comme « un ensemble de règles qui s’impose tant aux élus du Parlement et du Sénat qu’à tout citoyen et qui maintient la cohésion de la Nation ». Le préambule de la Constitution révisée en 1946 – et à ma connaissance jamais démenti depuis – stipule que « chacun a le droit de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».

On peut admettre les difficultés d’application d’une telle loi et n’y voir qu’un objectif vers lequel il faut tendre. De là à ce qu’une responsable de très haut niveau et ayant des devoirs évidents en matière d’emploi en prenne le contrepied … Devrait-on dans cette optique réviser ainsi le préambule : « chacun a le devoir d’assumer les risques de l’emploi qu’il occupe ou les périls du chômage qu’il subit » ?

Maison à vendre (for sale)
"... pourquoi le travail ne le serait-il pas? "

 

 

Une autre manière de considérer la question posée consiste à s’interroger sur la similitude supposée entre vie, santé, amour et travail.

Le risque lié à l’amour me laisse pantois : au-delà du fait qu’il est un peu incongru d’introduire une dimension sentimentale sur ce sujet de l’emploi, les risques liés à l’amour semblent bien en deça de ceux liés à la santé, à la vie et – de nos jours hélas – au travail sauf à considérer que la Présidente songeait aux maladies sexuellement transmissibles, au SIDA ou aux crimes passionnels.

 

On peut en revanche avancer que le risque engendré par le chômage sur la cellule familiale s’observe couramment, qu’il s’agisse de son impact sur la natalité ou sur la pérennité des couples du fait de la dégradation des conditions de vie qui en résulte.

De même, la précarité et le risque ressenti de précarité par ceux qui ont « encore » un travail ne peuvent avoir que des effets négatifs sur l’équilibre personnel des « intéressés », par conséquent sur leur santé et parfois sur leur vie (suicides désormais considérés comme accidents de travail …).

Plutôt que de placer les quatre termes dans une relation d’équivalence, il serait plus juste de les considérer dans une relation de dépendance : « Le risque lié à la précarité du travail accroît les risques sur la santé, la vie et la cellule familiale (l’amour ?) ». On pourrait d’ailleurs y ajouter le risque touchant à la cohésion de la Nation auquel pensait sans doute le législateur de 1946.

 

Cette question peut également être envisagée sous un angle déontologique : la justification d’un chef d’entreprise n’est-elle pas de conduire son affaire au succès et l’honneur de ce chef d’entreprise n’est-il pas d’y parvenir en assumant la responsabilité d’une communauté humaine ?

Il existe indubitablement dans toute entreprise une part de risque mais celle-ci doit-elle être assumée par des employés risque-tout, réduits lorsque nécessaire au rôle enviable de « variables d’ajustement », plutôt que par ceux  qui ont conduit l’entreprise à l’échec ? Au lieu de faire la morale à des employés implicitement taxés d’être trop frileux, ne serait-il pas plus opportun de porter l’anathème sur des responsables sautant en plein vol de leur machine en perdition après s’être prudemment harnachés de parachutes dorés ? Ne serait-il pas plus pertinent de stigmatiser ces patrons d’organisations financières qui, aux antipodes du respect que l’on doit à ceux qui ont le courage d’entreprendre, ne recherchent que des profits maximaux à court terme sans préoccupation de l’avenir des entreprises dont ils ont la charge ? Est-il vraiment approprié que la première déclaration notable d’une Présidente des entrepreneurs porte sur les facilités données aux employeurs en matière d’emploi plutôt que sur leurs responsabilités essentielles dans ce domaine ? Pourquoi devrait-on pourfendre la sécurité de l’emploi et promouvoir par là même l’insécurité sociale ? Pourquoi devrait-on considérer comme une fatalité qu’il soit désormais plus risqué d’être employé qu’employeur ?

 

Tel était l’état de mes réflexions à la veille de quitter la « vie active »." 

 

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"Pourtant, j’allais peut-être – moi et mes contemporains baby-boomers – devenir la solution du problème. Avec nos départs massifs non compensés par des entrées sur le marché du travail de troupes fraîches équivalentes, nous allions bientôt mathématiquement constituer la source d’une résorption du chômage.

 

C’est du moins ce qu’annonçaient alors des experts éclairés …"

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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