Débarquement

1959 Mauvais quart d'heure

Ruines d'Evrecy bombardé

"Un quart d’heure, un quart d’heure seulement pour anéantir un village et faire passer de vie à trépas près du tiers de ses habitants.

 

La méthode dite du bombardement en tapis (« carpet bombing ») consistant à déverser le maximum de bombes dans un minimum de temps avait fait disparaître le cadre de vie des rescapés et il avait fallu quinze ans pour en reconstituer un autre aux rues plus larges et aux arbres encore chétifs, un cadre dans lequel les « gens d’avant » ne se reconnaissaient pas vraiment."


 

"Ici, le débarquement était presque synonyme de bombardement. Pourtant, je n’ai pas souvenir d’avoir entendu exprimer un quelconque ressentiment à l’encontre des Alliés pourtant factuellement responsables sur l’instant de cette tragédie. Les rescapés étaient conscients qu’il fallait en passer par là pour libérer le pays de l’occupant nazi et de ses collaborateurs. Madame Thérèse Arétas, amie d’enfance de ma mère, exprime bien le sentiment qui prévalait dans un reportage réalisé en 1994 et dont l’INA a conservé la trace : « je ne leur en veux pas parce qu’ils nous ont débarrassé des boches »."

"La propagande des collaborateurs des nazis consistant à présenter les bombardements comme l’action d’agresseurs, d’envahisseurs étrangers s’attaquant délibérément à des cibles civiles et à s’apitoyer sur le sort des victimes (secours national, défense passive, infirmières de la Croix Rouge et gerbe du Maréchal) n’avait donc pas eu de prise sur ces villageois."

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"La présence des allemands s’était manifestée au début de l’Occupation par la construction de trois rudimentaires aérodromes sur le territoire de la commune et dans deux villages voisins, lesquels aérodromes avaient été abandonnés dès 1941 lorsque l’espoir d’envahir l’Angleterre s’était envolé et que les troupes nazies avaient commencé à être sérieusement occupées ailleurs …"

Plaque commémorative

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"Ce ne sont donc pas des conditions particulièrement insupportables (en tout cas pas plus qu’ailleurs) qui expliquaient l’acceptation du lourd sacrifice comme prix de la Libération (Evrecy avait eu le triste privilège de compter le pourcentage de victimes civiles le plus élevé de toutes les cités bombardées)."

Chars sur la cote 112

"Le bombardement du 15 juin, neuf jours après le D Day, était justifié par les mouvements de troupes nazies qui s’efforçaient de retarder la progression des Alliés à l’intérieur des terres et, notamment, en direction de Caen. Le point culminant de cet affrontement allait être atteint dans les combats de la cote 112, dans la plaine en limite de la commune. Il se disait que des chars à court de munitions avaient terminé dans un sinistre jeu d’autos tamponneuses."

"En ce qui concerne les jours et les mois qui avaient suivi, on évoquait le grand dévouement de certains pour secourir les blessés, enterrer les morts (dont les restes souvent indistincts avaient été enfouis près du chevet de l’église ruinée) et faire face aux besoins des rescapés. On parlait aussi de la canaillerie d’autres empressés à piller les ruines et pas seulement pour subvenir à des besoins vitaux immédiats. Sur ce sujet, à la question du journaliste « Qui pillait, les Allemands ? », Madame Arétas répondait en 1994 : « Pas précisément ».

En 1959, entre gens du pays, il s’en disait plus … et plus précisément.

Rumeur persistante infondée ou turpitude avérée, on évoquait par exemple le cas d’un estropié dont la charrette avait malencontreusement rencontré une mine alors qu’il écumait les alentours, ce qui lui valait durablement les émoluments d’un pensionné de guerre. Moins grave mais significatif tout de même de l’envergure du phénomène : ma mère que j’accompagnais chez une voisine reconnut un objet – sans grande valeur du reste - qui avait sans doute possible appartenu à ses parents. Certaine de son fait, elle en fit part à cette vénérable voisine qui n’était pas dans le besoin comme l’on dit en Normandie (peut-être ailleurs aussi). Celle-ci reconnut le délit sans barguigner, le justifiant en prétendant que cela avait évité que l’objet en question ne tombe dans d’autres mains. Une salutaire action de conservation du patrimoine familial en quelque sorte …"

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"Dans le film réalisé par l’écrivain Gilles Perrault en 1984 (issu de son livre « les gens d’ici » ) sur la même période vécue par les habitants de Sainte-Marie du Mont (Utah Beach), je retrouve les mêmes nuances et les mêmes contrastes concernant des gens ordinaires avec leurs dimensions estimables ou honteuses. On est bien loin des fables exemplaires ou rocambolesques que l’on a données à voir du débarquement. Bien loin par exemple de cette scène du film « le jour le plus long » dans laquelle un habitant arbore frénétiquement le drapeau national sous le feu des bombardements Alliés."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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