"   L'année 1961 est selon moi l'année de tous les complots nés en Algérie:

• au premier rang desquels l'annonce dès janvier de la création de l'Organisation Armée Secrète (OAS), complot fomenté dans l'ombre, dans l'Espagne de Franco où se sont réfugiés ses protagonistes pour fuir la justice française,

• en avril, le putsch des généraux d'Alger, rapidement refréné par l'habileté politique du pouvoir en place en France (est-on dans ce cas autorisé à employer le terme de complot ?)

Je suis alors particulièrement sensible à cette actualité de 1961 pour deux raisons:

• l'OAS,dirigé par des français commet dorénavant en «France métropolitaine» des meurtres contre des français,

• cette extension du conflit est susceptible de prolonger une guerre qui se poursuit depuis plus de sept ans (durée inédite pour mes contemporains), qui mobilise longuement et dangereusement les appelés du contingent … alors que le temps de mon service militaire se rapproche inexorablement.

Complot de l'OAS

Le 8 janvier, les Français sont appelés à participer à un référendum qui ouvre la voie à une indépendance de l'Algérie en proposant l'organisation d'un autre référendum qui offrirait la possibilité d'autodétermination aux «populations algériennes». On notera que la formulation-même anticipe l'issue escomptée.

Référendum sur l'autodétermination, Les Actualités Françaises, 11 1 1961, 3 premières minutes 

Le résultat publié le 14 janvier est sans appel avec une approbation à 75%.

Les deux «réfugiés» à Madrid condamnés pour avoir en 1960 organisé la semaine des barricades à Alger, fondent donc l'OAS dès la fin du mois, un mouvement qui ne peut espérer vaincre que par la violence. C'est sur ce terrain que l'OAS s'illustre très vite en assassinant dès le 31 mars, comme un symbole, Camille Blanc, le maire d'Evian, pour avoir accueilli dans sa ville, à la requête du gouvernement, les délégués du FLN venus négocier.

Evian après l'attentat, JT 20h, film muet, 2 avril 1961  1min 50s

Dans mon quartier, la gare d'Austerlitz fait l'objet en avril d'un plastiquage (comme la gare de Lyon et l'aéroport d'Orly): vitres brisées, consignes éventrées et traces de sang au sol.

Bombes à Orly, gares de Lyon et Austerlitz, JT 20h film muet 23 avril 1961 2min 30s

Et le carnage se poursuivra, de mai 1961 à septembre 1962, se soldant rien qu'en «métropole» par 71 assassinats et 394 blessés. Les victimes résultent souvent de dommages collatéraux (comme l'on ne dit pas encore), ainsi de cette fillette défigurée dans un attentat visant André Malraux le 7 février 1962.

Cette violence inconsidérée s'exerçant en métropole a selon Sylvie Thenault un effet contre-productif en accélérant les négociations avec les émissaires du FLN.

L’OAS, Organisation armée secrète, Sylvie Thénault, 12 5 2019, texte et illustrations

Complots des Généraux

Le 8 avril, une autre forme de complot se fait jour à Alger avec la tentative de prise du pouvoir de 4 généraux («un quarteron de généraux en retraite» dira le Président de ces militaires plus jeunes que lui de 8 à 15 ans). Ils tentent de s'imposer pour maintenir «l'intégrité du territoire» mais l'on voit bien rétrospectivement que cette sédition n'avait aucune chance de réussir car à la lassitude des civils métropolitains devait s'ajouter la très prévisible défection des jeunes appelés. 

Cette insubordination va surtout offrir au pouvoir en place une opportunité de dramatisation à l'extrême afin de renforcer l'adhésion à sa nouvelle orientation en faveur d'une Algérie indépendante. Je me souviens notamment du discours martial du Président revêtu de sa tenue de Général à la télévision («Français, Françaises, aidez-moi») et plus encore de celui de son premier ministre intervenant à minuit, comme pour faire face à une situation d'urgence absolue, et annonçant le parachutage imminent de troupes sur la capitale. Dommage que l'on ne trouve aucune trace filmée de ce morceau d'anthologie car la fébrilité de l'orateur amplifie singulièrement un discours déjà fort anxiogène: «Des avions sont prêts à lancer ou à disperser des parachutistes sur divers aérodromes afin de préparer une prise du pouvoir. Dès que les sirènes retentiront, allez-y à pied ou en voiture convaincre ces soldats trompés de leur erreur». On notera l''utilisation du futur et non du conditionnel. Dans le même temps, des autobus sont disposés en travers des grandes artères pour entraver l'avancée conjecturée des séditieux et, notamment, des chars sont mis en faction pour défendre l'Assemblée Nationale.

23 avril 1961... Le jour où la radio sauva la République, blog, texte et illustrations

Les journées d'Alger, Les Actualités Françaises, 3 mai 1961, 3min

Mais à bien y regarder, les généraux insurgés ont quelques raisons d'éprouver de l'amertume et du ressentiment ainsi que l'écrit Marc Ferro dans son dernier ouvrage : «Les intégristes de l'Algérie française voyaient bien que De Gaulle préparait la sécession de l'Algérie et était en train de tromper ceux qui l'avaient porté au pouvoir». Et Marc Ferro précise: «Ce fut à la suite d'autres complots pilotés à Alger par Soustelle, à Paris par Michel Debré, et aboutissant au ralliement des Généraux Massu et Salan que De Gaulle récupéra le pouvoir le 13 mai 1958».

Rémi Kauffer nous rappelle en outre que, déjà en 1958, «combinée avec la menace d'un débarquement des paras, l'OPA Gaulliste réussit»...

Pourtant, si l'on en croit Paul-Marie de la Gorce, un gaulliste proche s'exprimant quarante ans plus tard, tandis qu'en juin 1961 le Général de Gaulle - qui se faisait acclamer par des foules d'Algérie aux cris d'Algérie Française et acquiesçait tacitement par un «je vous ai compris»-, lui confiait «L'Algérie française, ce n'est pas la solution, c'est le problème».

Le général de Gaulle en Algérie, 4 5 et 6 juin, Fresques INA, 8 minutes 10s

"Vive l'Algérie française !", wikipedia, référence texte Paul-Marie de la Gorce

Habileté politique pour prendre le pouvoir ou prise de conscience tardive, peut-être était-il nécessaire d'en passer par là pour mettre un terme à un conflit qui se serait plus encore éternisé sinon? Mais cela sera lourd de conséquences pour les colons, grands et petits, contraints d'abandonner leur terre d'élection et leurs biens dans la précipitation.

Et cela sera pire encore pour les Algériens qui s'étaient mis au service de la France et que le Président assurait encore de sa prévenance en cas de sécession le 9 novembre 1960: «Nous prendrions bien entendu les mesures voulues pour sauvegarder les Algériens qui voudraient rester Français» .

Le Général de Gaulle et l'Algérie, Les Actualités Françaises, 9 11 1960, 1 minute 40

Chacun sait que, après le cessez le feu du 19 mars 1962, des instructions furent données aux militaires par les ministres en charge de limiter drastiquement le rapatriement des harkis et de sanctionner ceux qui désobéiraient à ces ordres. Le massacre qui s'ensuivit – et qui était prévisible puisque le terme de sauvegarde avait été utilisé – se chiffra en dizaines de milliers de victimes (les militaires mais aussi occasionnellement les membres de leurs familles) souvent dans des conditions atroces.

Il faudra attendre quarante ans (à partir de 2001) pour que la responsabilité de la France dans cet abandon soit reconnue par les Présidents de la République successifs.   "

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Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

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