Cinémas (salles de)

1959 Triptyque soviétique en stéréo

File d'attente devant le kinopanorama

"  En cette période de «guerre froide» mais intense, américains et soviétiques ne sont pas seulement rivaux pour la conquête de l’espace. La lutte entre le «monde libre» et le «bloc communiste» fait rage aussi dans le cinéma. C’est à qui réalisera les films les plus spectaculaires sur les plus grands écrans.

 

Les uns et les autres sont dans cette voie parvenus à des résultats similaires: pour agrandir la taille de la projection et placer le spectateur au cœur de l’action, il convient de filmer les scènes avec trois caméras enregistrant trois plans connexes puis de les restituer avec trois projecteurs sur un écran courbe et gigantesque.

 

Mon parrain et son épouse, qui ne cachent pas leur aversion pour les communistes, me conduisent d’abord au Cinérama dans la salle du cinéma Empire près des Champs Elysées, puis m’offrent quelques mois plus tard le spectacle issu de cet univers abhorré, non sans me mettre en garde et non sans prendre soin de compléter mon information. La salle de 870 places a été ouverte tout récemment, en septembre, et attirera un million de visiteurs la première année.

Le Cinérama m’offre donc d’abord l’«american way of life» à base de famille exemplaire forcément heureuse dotée d’une voiture aux tons criards stationnant devant le cottage tandis que le Kinopanorama, qui vient d'ouvrir rue de Grenelle dans le quinzième arrondissement, est sensé exalter la création de l’homme nouveau et la voie de la félicité communiste sur terre.

 

Cela commence plutôt mal car le court métrage est un documentaire historique sur la Révolution d’Octobre, guère spectaculaire et en noir et blanc qui privilégie la formation des masses aux effets démonstratifs du procédé nouveau. Par contre, le grand film («deux heures en URSS») est une sorte de «road movie» à la découverte des républiques socialistes soviétiques qui ménage plus d’effets visuels. Curieusement, le voyage s’effectue à bord d’un roadster plutôt anglais mais les routes non asphaltées et poussiéreuses permettent des travellings dans les steppes bien plus enthousiasmants que la leçon d’histoire d’avant l’entracte. On n’échappe pas non plus aux défilés de moissonneuses-batteuses et aux travailleurs chantant avec le plus grand naturel les louanges du système.

Quant au résultat technique, si tout était parfait, cela ferait une seule très grande image mais, comme cela ne l’est pas vraiment et que l’on n’a pas encore inventé le robot permettant d’assurer une mise en ligne permanente des trois images. Mon regard est constamment attiré par ces deux franges séparant l’écran central des deux écrans latéraux, franges qui tantôt se superposent, tantôt se détachent et souvent se décalent. J’imagine sans mal la peine que doivent se donner les projectionnistes pour tenter sans jamais y parvenir d’assurer une fusion indétectable.

 

Je l'ignorais alors mais, en me documentant sur le sujet, j'ai appris qu'il ne fallait pas moins de cinq personnes pour assurer la projection, une pour chaque projecteur, un coordinateur installé dans la salle pour les tenir informés en permanence des corrections à apporter pour ne pas trop gâcher l'illusion d'une image unique et un chef d'équipe pour contrôler la coordination de l'ensemble. A l'équipe des matinées devait s'ajouter celle des soirées ...

 

Plutôt qu’un grand écran, on a l’impression d’un triptyque animé, impression renforcée par le fait que les preneurs de vue, sans doute conscients des limites du procédé, s’efforcent de réserver les sujets principaux d’intérêt à la caméra centrale.

Le Kinopanorama devenu Gaumont Kinopanorama et projetant des films 'classiques"
Le Kinopanorama devenu Gaumont Kinopanorama et projetant des films 'classiques"

Ce qui est nouveau et particulièrement impressionnant par rapport aux cinémas «ordinaires», ceux de mon quartier, ce sont les effets stéréophoniques qui permettent de placer le son à l’endroit même de la fresque où l’événement se déroule.

Il faut dire que la radio n'a commencé à proposer des émissions en modulation de fréquence que cinq ans auparavant et que les récepteurs qui n'ont recours à cette technique que pour la diffusion de musique classique, sont sensiblement plus chers que ceux se limitant à la modulation d'amplitude. Quant à la stéréophonie, elle ne fait que timidement son apparition sur les disques microsillons …

Kinopanorama devenu centre de soins

La salle devenue Gaumont-Kinopanorama fermera définitivement le 2 juillet 2002, remplacée par un centre de remise en forme, mais il y avait belle lurette que les séances utilisant trois projecteurs avaient disparu. "

 

Chronique publiée en mai 2017

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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