Bistrot

2008 Les piliers se dérobent

"Dans les années 2000, les bistrots ne font plus recette et n’inspirent plus guère les artistes. En cherchant bien, j’ai fini par découvrir une chanson interprétée par Renaud en 2002 : « mon bistrot préféré », un inventaire laborieux du panthéon de l’auteur qui n’a pas connu le succès d’autres de ses titres. Le texte confirme implicitement, et sans doute involontairement, que les bistrots sont devenus des lieux évocateurs du passé, l’énumération ne comportant que des disparus, de Villon à Vian (au reste plus connu pour sa fréquentation des caves en tant que musicien que pour son assiduité dans les bistrots)."

Bougnat rue Làplace à Paris 5ème en 1956
Bougnat rue Làplace à Paris 5ème en 1956

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"Aucun ouvrage, à ma connaissance, n’a été consacré à l’analyse des causes d’une désaffection qui a fait diminuer le nombre des établissements dans un rapport compris entre 6 à 1 et 4 à 1 (selon les sources sur internet) en une quarantaine d’années, une décroissance colossale s’agissant d’une activité dont les raisons d’être n’ont pas été remises en cause : se réunir et se désaltérer.

 

Dans les villes, la quasi-disparition du chauffage au charbon peut certes expliquer une part du phénomène pour ceux des bistrotiers qui étaient aussi bougnats, mais cela ne suffit pas – et de loin – à expliquer une décroissance aussi importante, laquelle se poursuit alors-même que la mutation du charbon à d’autres énergies est révolue depuis des années."

A la même adresse une cinquantaine d'années plus tard : le restaurant "L'écurie" - Google streetview
A la même adresse une cinquantaine d'années plus tard : le restaurant "L'écurie" - Google streetview

"Le développement de la restauration rapide a pu également entamer la part de clientèle des bistrots proposant plat du jour à bon marché ou sandwich jambon-beurre.

On peut aussi émettre l’hypothèse que les mesures prises depuis les années soixante pour endiguer le fléau de l’alcoolisme ont contribué à réduire la fréquentation des piliers de bistrots et des amateurs de festivités très « arrosées ». Jusqu’en 1970 en effet, en l’absence de mesures d’alcoolémie, il fallait vraiment donner des signes évidents de perte de la maîtrise de soi pour que la maréchaussée s’alarme. Mais on peut aussi défendre la thèse selon laquelle la consommation d’alcool s’est simplement déplacée vers les domiciles ou dans d’autres lieux publics (les « boîtes de nuit » pour les plus jeunes par exemple)."

 

"A défaut de s’enivrer au bistrot, n’aurait-on plus le besoin de s’y réunir ?

La télévision puis internet contribuent certes à retenir les clients potentiels à leurs domiciles en leur donnant des possibilités d’échange réels sans la proximité physique (la téléconférence) ou plus ou moins virtuels (via les réseaux dits sociaux). Cependant, la vitalité des associations, forte en France, tend à contrecarrer cette explication.

De la même manière, on pourrait avancer que la crise économique a sa part dans la réduction de dépenses non vitales mais on objectera alors que l’assistance aux matchs de foot-ball (sujet de prédilection des habitués des comptoirs) n’a pas faibli alors que les frais d’entrée sur un stade sont incommensurablement plus élevés que ceux requis pour consommer dans un bistrot.

Quelques-uns des commerces fermés à Paulhaguet en Auvergne
Quelques-uns des commerces fermés à Paulhaguet en Auvergne

D’autres raisons peuvent être avancées :

 

• Dans les campagnes, la raréfaction des petits commerces en général (au bénéfice des grandes chaines de distribution éloignées mais dans lesquelles on fait « un plein » avantageux) et donc aussi des bistrots semble une explication valide. Le dépérissement des grands marchés agricoles qui remplissaient les débits de boissons n’a pas dû non plus arranger les choses;

 

Ouvriers parisiens au café en 1958
Ouvriers parisiens au café en 1958

•    Dans les villes et tout particulièrement à Paris, le renchérissement de l’immobilier est à l’évidence à l’origine de la mutation de pas de portes de commerces « de bouche » vers des négoces à plus forte marge (habillement et colifichets divers). Dans sa chanson en 1960, Georges Brassens situait le bistrot de son « gros dégueulasse » « dans un coin pourri du pauvre Paris ». Au tarif du mètre carré habitable, les coins pourris et le « pauvre Paris » se font rares.·        Le bistrot, hier couramment fréquenté par les « prolos » doit ainsi parfois son salut aux « bobos » en se transformant en « bar à thème » ou en « café-philo ».  

 

Années 2000 : Bistrot et chic ...
Années 2000 : Bistrot et chic ...

Néanmoins, pour les patrons des bistrots, la cause est entendue : l’interdiction de fumer dans les lieux publics qui s’applique au 1 janvier 2008, laquelle vient après la stigmatisation (très relative) de la consommation d’alcool, va asséner le coup de grâce à leur petit commerce."

21 novembre 2007 : conséquences possibles de l'interdiction, FR3 Midi-Pyrennées 1 minute 50

Avec quelque recul, on constate aujourd’hui (en 2013) que cette mesure ne leur a pas été fatale mais que leur nombre continue, inexorablement semble t’il, à décroître de plusieurs milliers chaque année.

Qui déterminera le poids respectif des diverses sources à l’origine de ce dépérissement ?"

 


Chroniques en rapport avec celle consacrée au bistrot :

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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