Aérotrain

1971 Sur un train volant

Aérotrain 180
Aérotrain 180

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"   Venant de Paris, la rampe d’Étampes marque la fin définitive des banlieues toujours plus étendues de la capitale, donnant accès à une «coupure verte» de quelques dizaines de kilomètres (je devrais plutôt parler de «coupure sable» de la couleur des moissons aux beaux jours et évoquant l’aspect quasi-désertique de cette Beauce), coupure qui ne trouve son terme qu’à l’approche d’Orléans.

 

Le train de banlieue en aluminium qui assurera la desserte d’Orléans à la gare d’Orsay jusqu'au début des années 80 apparaît tout à fait incongru dans ce décor inhabité.

 

Incongru bien plus encore cette sorte d’autorail apparemment revêtu du même aluminium que mon train de banlieue arborant sur sa queue une forme de ventilateur et qui, à l’approche d’Orléans chevauche dix-huit kilomètres d’un rail en béton soutenu à dix mètres du sol par quelques neuf cent poteaux.

Construction du rail et premiers essais, non daté, 4 minutes 20

Timbre consacré à l'aérotrain

Incongru surtout ce bruit d’enfer qu’il inflige à une morne plaine qui ne connaît guère que les bourdonnements des engins agricoles et les chuintements des pompes d’irrigation.

 

La source de ce tapage vient du «ventilateur», en fait de l’hélice animée par un moteur d’avion et protégée (des corbeaux?) par une sorte de grillage. Et le vacarme s’amplifiera encore quand, pour pulvériser les records de vitesse, le «ventilateur» aura carrément été remplacé par un réacteur de Caravelle renommé pour ses vertus assourdissantes. 

 

L’objectif annoncé est de parvenir à relier Orléans à la capitale en vingt-cinq minutes soit moins de la moitié du temps des trains «classiques» … quand ils ne prennent pas de retard. Pour cela bien entendu le rail devra faire mieux que de relier un champ de luzerne à un champ de blé comme disent alors les sceptiques. Et les sceptiques ont matière à alimenter leurs doutes: 

première page du journal Le Parisien ; Paris Orléans en 20 minutes
  • Pour gagner Paris intra-muros – et, dans une moindre mesure Orléans – il faudra traverser des zones très urbanisées et donc exproprier pour faire passer ce «chemin de béton»,
  • A supposer que ce problème soit résolu, les riverains toléreront-ils le bruit ou trouvera-t’ on le moyen de concilier vitesse et discrétion d’ici à la mise à service? Déjà les riverains de certains aéroports s’inquiètent du bruit que pourrait provoquer le supersonique Concorde – alors en cours d’essais – et envisagent fortement de s’opposer à son escale,
  • Au regard de la capacité d’accueil de 80 places de l’autorail (dans mon enfance, on disait encore micheline) et de l’énergie – bien perceptible – mise à le déplacer, sera-t’ il possible de proposer des places à des prix raisonnables? (ce, même en passant par pertes et profits les coûts de mise en œuvre … comme on le fera plus tard avec Concorde).
Le Président Georges Pompidou, fervent défenseur de l'aérotrain
Le Président Georges Pompidou, fervent défenseur de l'aérotrain

Cependant, le projet est crédible d’abord parce que, lancé sous le Président De Gaulle, il a le support appuyé du Président Pompidou - qui se pique de modernisme dans les arts comme dans les techniques - ainsi que des édiles locaux, lesquels marquent leur soutien tant par leurs fréquents vols expérimentaux à bord de la navette que par leurs subventions à l’entreprise de l’ingénieur Bertin, à l’origine du projet.

Il répond aussi à un besoin croissant d’échanges entre les deux villes: Orléans est sans doute l’une des villes qui a su le mieux tirer parti de la décentralisation économique initiée à partir de 1963 par la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Aménagement Régional (DATAR): nombre d’entreprises parisiennes ont ainsi pu bénéficier d’aides à la déconcentration non loin de la capitale sans toutefois bouger leurs centres de décision, multipliant ainsi les nécessités d’échanges à une époque ou ni internet ni les audio et visio conférences n'existent.

 

Du reste, le schéma directeur d’urbanisation de la région orléanaise inclut l’hypothèse aérotrain.

 

Le nouveau pont Thinat sut la Loire sera conçu pour supporter son infrastructure, permettant, de ce fait, un débouché ultérieur vers le Sud que n’avaient pas su anticiper les créateurs de la ligne de chemin de fer Paris Orléans en 1843, faisant définitivement de la gare d’Orléans un cul de sac d’où la création de la gare des Aubrais à quelques centaines de mètres pour permettre le franchissement de la Loire.

 

Décidément, en cette année 1971, j’ai de bonnes raisons – tout comme mes contemporains- d’espérer pouvoir emprunter le train sans roues d’ici à la fin de la décennie.  "

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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